Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verse le Forum désert, et va s’asseoir dans le temple de la Concorde, attendant le matin et l’empire. Les magistrats et les consuls se rendent à la curie, dont la clé s’était retrouvée, et aussitôt qu’il y paraît, Pertinax est déclaré empereur nuitamment.

Pertinax, qui ne régna pas tout à fait trois mois, n’a pas élevé de monumens, et n’a laissé de lui à Rome que ses bustes. Quoi qu’en dise Capitolin, il n’a rien d’un vieillard vénérable; sa tête est carrée, sa bouche assez fine; sa physionomie commune est bien celle d’un homme d’affaires entendu et d’un soudard déterminé. Il périt dans le palais, tué par les soldats après avoir été élu par eux; trois cents prétoriens vinrent du camp en bon ordre pour égorger l’empereur. Pertinax leur adressa une longue et vigoureuse allocution ; ils semblaient s’apaiser, quand un Germain, un Tongre qui peut-être n’entendait pas bien le latin, ranima leur colère et leurs craintes, et planta sa pique dans la poitrine de Pertinax. Les soldats lui coupèrent la tête, et, après l’avoir promenée par la ville, la portèrent au camp. Cette tête, ramassée là où on l’avait jetée, fut réunie à son corps, qui gisait sur le Palatin; l’une et l’autre furent placés dans une sépulture de famille par le successeur de Pertinax.

Les soldats qui avaient tué Pertinax, n’ayant pas un autre empereur sous la main, en prirent un de rencontre. Il s’appelait Didius Julianus. C’était un homme riche, de mauvaises mœurs, jurisconsulte habile, qui avait fait la guerre et avait été gouverneur en Germanie. Le marché s’était ouvert au camp des prétoriens. Didius Julianus s’y rendit, pour acheter l’empire qui s’y vendait. Un autre acquéreur, nommé Sulpicianus, y était déjà et faisait des propositions. Didius Julianus enchérit. Sulpicianus avait promis aux soldats 25,000 sesterces (4,449 francs 50 centimes) par tête. Les soldats dirent à Julianus : « Voilà ce qu’il offre; toi, qu’offres-tu? » Il proposa 30,000 sesterces pour chaque soldat (5,337 francs). Les prétoriens lui donnèrent la préférence. Pour faire cette offre, il était monté sur le rempart du camp; il en descendit empereur par la grâce de son coffre-fort.

Selon Hérodien, la femme de Julianus l’avait poussé à faire l’acquisition de l’empire. Le prétendu buste de Manlia Scantilla, qui est au Capitole à côté du buste de Julianus, est un portrait de Julie Mammée. Le buste du Braccio Nuovo, au Vatican, est celui d’une jeune femme remarquable par sa beauté; mais je ne lis dans ses traits ni l’ambition, ni l’audace. Cette jolie et douce figure s’accorde mieux avec le récit de Spartien, qui nous montre Manlia Scantilla épouvantée de l’entreprise de son mari et traversant toute tremblante le Forum, pour se rendre au palais où elle entrait malgré elle. Un autre buste du Vatican donne à la femme de Didius Julia-