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et doublé, était-ce une mesure qui frappait seulement quelques personnages considérables? N’était-ce pas le fait d’une tyrannie qui voulait être sans exception, comme elle était sans limites?

Toujours la décadence dans l’art finit par suivre la décadence sociale, mais elles ne marchent pas constamment du même pas; quelquefois la première retarde sur la seconde. Rome était bien abaissée sous Caracalla, mais l’architecture se soutenait à une grande hauteur. Cette époque de honte fut peut-être celle où Rome étala dans ses monumens le plus de magnificence. Ceux qui dataient des siècles précédens étaient encore intacts ou réparés; presque tout ce qui devait leur être ajouté de plus remarquable existait déjà. Si l’on voulait se faire une idée complète de la Rome monumentale des empereurs, c’est, je crois, à l’époque de Caracalla qu’il faudrait se transporter.

Un curieux débris qui paraît provenir de cette époque aiderait, s’il était plus considérable, l’imagination à reconstruire la Rome d’alors : ce sont les fragmens d’un plan de la ville éternelle, où était figurée la disposition relative de tous les monumens. Malheureusement ces fragmens, qui ont été trouvés près du Forum, sont peu nombreux par rapport à l’ensemble que le plan tout entier devait offrir. Tels qu’ils sont, ils ont servi à mieux déterminer la place et la forme de plus d’un édifice. Quand on monte l’escalier du musée Capitolin, entre les deux murs que tapissent les lambeaux déchirés de cette carte de marbre où l’ancienne Rome était représentée, et qu’on imagine ce que cette carte devait être quand elle subsistait tout entière, on croit voir dans leur intégrité les monumens que nous connaissons par leurs ruines, et l’on cherche à deviner l’aspect de ceux dont il ne reste que le nom. Ce plan nous fait apparaître dans une vision vague Rome avec ses temples, ses basiliques, ses théâtres, ses thermes, ses maisons privées, ses rues, ses places. On se perd dans l’effort de cette contemplation imparfaite, mais il en reste une impression immense, bien que confuse, d’admiration et d’étonnement; puis, quand on songe à ce qu’étaient dans cette ville admirable le gouvernement et les citoyens, ce sentiment fait place au mépris et au dégoût.

Rome nous a montré dans les inscriptions et les images effacées sur les arcs de Sévère les traits du fratricide, et dans les thermes de Caracalla l’œuvre du despote qui voulait amuser le peuple; elle ne nous montrera pas le lieu où le meurtrier de Géta, où le despote sanguinaire fut puni. Cette punition ne s’accomplit ni dans le palais impérial, ni au Forum, théâtres ordinaires du châtiment des mauvais empereurs. C’est en Orient que le poignard devait atteindre Caracalla. Sur la route d’Édesse, étant descendu un moment de