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leur vint cette étrange déesse dont la statue n’est pas rare dans les musées, parce que son culte était très répandu, qu’on appelle Cybèle, et qui est certainement la grande déesse, la grande mère, c’est-à-dire la personnification de la fécondité et de la vie universelle : bizarre idole qui présente le spectacle hideux de mamelles disposées par paires le long d’un corps comme enveloppé dans une gaîne, et d’où sortent des taureaux et des abeilles, images des forces créatrices et des puissances ordonnatrices de la nature. On honorait cette déesse de l’Asie par des orgies furieuses, par un mélange de débauche effrénée et de rites cruels; ses prêtres efféminés dansaient au son des flûtes lydiennes et de ces crotales, véritables castagnettes, semblables à celles que fait résonner aujourd’hui le paysan romain en dansant la fougueuse saltarelle. On voit au musée du Capitole l’effigie en bas-relief d’un archigalle, d’un chef de ces prêtres insensés, et près de lui les attributs de la déesse asiatique, les flûtes, les crotales et la mystérieuse corbeille. Cet archigalle avec son air de femme, sa robe qui conviendrait à une femme, nous retrace l’espèce de démence religieuse à laquelle s’associaient les délires pervers d’Héliogabale. A son costume, on pourrait le prendre pour Héliogabale lui-même. Au-dessous d’un autre bas-relief qui se rapporte également aux cultes de l’Asie, est une inscription moitié en langue grecque, moitié en langue palmyrienne; ce mélange indique bien la fusion qui s’opérait alors entre l’Orient et l’Occident. Il y est parlé d’un Aglibol qui paraît être le même que celui dont le nom altéré a fait le nom d’Héliogabale[1].

L’alliance des voluptés et du sang était le caractère de ces religions de l’Asie occidentale; un tel caractère semblait les désigner pour être les religions de l’empire. C’est en effet sous l’empire que leur vogue devint très grande; mais l’introduction du culte de Cybèle à Rome datait de plus loin. Il y avait été apporté d’Asie avec la déesse du temps de Scipion l’Africain. L’austérité républicaine s’alarma bientôt, et les prêtres de la déesse d’Asie ne tardèrent pas à être chassés. Son culte ne fut cependant point aboli, et c’est celui-là sans doute que les matrones romaines étaient autorisées à célébrer en secret dans ce qu’on appela les mystères de la bonne déesse. Bientôt les prêtres mutilés de Cybèle, les galles impurs reparaissent, les historiens et les poètes en font foi. C’est que, comme je l’ai plu- sieurs fois remarqué, les mœurs de l’Orient entraient dans Rome à la suite du despotisme oriental. Il fallait qu’elles y eussent déjà pénétré bien avant sous Septime-Sévère pour que Plautius ait osé, le jour du mariage de sa fille, faire cent eunuques de cent Romains

  1. Alagabalus, Élégabal dans les inscriptions.