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12,000 hommes. Nos navires devaient débarquer successivement leurs soldats malades ou bien portans dans l’un ou l’autre de ces établissemens. Les hommes valides devaient y rester dix jours et plus, si c’était nécessaire, habitant sous la tente, se promenant, se baignant, bien nourris, regardant les côtes de France. Toutes les conditions de rétablissement étaient, autant que possible, réunies. Après cette espèce de quarantaine, on devait amener à Marseille ou à Toulon tous ceux qui auraient bien supporté cette épreuve et les diriger sur les garnisons définitives. Pour échelonner d’hôpitaux la route suivie par la flotte, on devait créer une ambulance sous tentes au Pirée et une autre à Messine. Des difficultés soulevées par le gouvernement napolitain empêchèrent de placer un dépôt de typhiques en Sicile. Les navires chargés de troupes avaient ordre de laisser les malades infectés à Gallipoli, à Nagara, à Malte et en Corse, avant d’arriver en France. Les débarquer dans toutes ces stations, c’était empêcher la contagion de se propager à bord des bâtimens de transport.

Il aurait fallu deux étapes sanitaires de plus, l’une entre Nagara et Malte, l’autre entre Malte et la Corse. Je me rendis au Pirée, et je m’entendis avec l’amiral Bouet-Willaumez et avec le ministre de France, M. Mercier. Le ministre des affaires étrangères de Grèce, M. Rangabé, nous donna avec empressement l’autorisation d’installer un hôpital de typhiques dans l’île de Milo, que nous allâmes reconnaître. Milo a l’aspect d’un fer à cheval. Dans le fond du port seulement se trouvent quelques basses terres marécageuses et inhabitées. Les habitans, au nombre de 3,000, ont perché leurs villages sur les montagnes. A l’ouest est celui de Castro, qu’habite notre consul, M. Brest, respectable vieillard à qui nous devons la Vénus de Milo. J’avisai un monastère abandonné depuis 1834, époque où les propriétés monacales rentrèrent dans le domaine du gouvernement grec. Sachant par tradition que les moines s’établissaient toujours dans les endroits les plus salubres et les sites les plus agréables, je fis, par un chemin sinueux très praticable pour les mulets, une ascension jusqu’à ce monastère. J’y trouvai des bâtisses considérables, à moitié ruinées, mais dont on pouvait tirer bon parti, — trois ou quatre beaux jardins potagers, de beaux plateaux ombragés et parfaitement disposés pour recevoir des tentes. Un vieillard centenaire habite Là avec sa famille, mais il n’occupe qu’une ou deux chambres. L’eau est abondante et d’excellente qualité. Cependant il était difficile de mettre à Milo 300 malades, et si l’infection était venue à se propager sur la flotte pendant la traversée, cet hôpital eût été bien vite insuffisant. Ce motif nous décida à faire voile pour Candie, où le sultan nous autorisait à créer un établissement hospitalier.