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livrée aux travaux agricoles, ils étaient, on peut le dire, les souffre-douleurs des populations hunniques. Héraclius le savait : s’adressant à une de ces tribus de montagnes plus guerrière que les autres et plus digne de servir ses desseins, il lui offrit une partie des terres que les Avars avaient usurpées au midi du Danube. Les Croates répondent à cet appel; Héraclius les lance en Dalmatie, et bientôt, vainqueurs des Avars, ils fondent un état puissant sur les côtes de l’Adriatique. Attachés à l’empire par les liens politiques, ils ne tarderont pas à lui être plus étroitement unis par les intérêts religieux. Une mission demandée au pape par Héraclius va porter le christianisme dans ces provinces dalmates, qui s’appelleront désormais la Croatie baptisée. Les Croates, malgré leur union politique et religieuse avec l’empire, n’en conservaient pas moins leurs lois nationales; ils étaient indépendans et gouvernés par leurs chefs. Cet exemple attira d’autres tribus; les Serbes arrivent du bord de l’Elbe, demandant à Héraclius la concession de quelques provinces; Héraclius leur abandonne la Dacie, la Dardanie, une partie de la Macédoine et de l’Épire, et ainsi sont créées les principautés de Servie et de Bosnie.

La première pensée d’Héraclius, après sa victoire sur les Avars, avait donc été d’établir cette forte ligne de peuples entre l’empire et les hordes hunniques, et, selon la remarque de M. Thierry, cette barrière élevée il y a douze cents ans est encore debout aujourd’hui. N’est-il pas remarquable que la même pensée soit venue à la France dès le lendemain de nos victoires en Crimée? Un des meilleurs moyens de fortifier cette ligne de défense qui arrête l’ambition russe au nord de la Turquie, c’est de fortifier les principautés roumaines. La réunion de la Moldavie et de la Valachie, l’organisation d’une Roumanie indépendante sous le protectorat de la France, ce serait là un des plus grands résultats de la dernière guerre, une des plus sures garanties de l’avenir. Des voix éloquentes se sont élevées pour soutenir cette politique; je signalerai surtout la patriotique brochure d’un jeune Valaque, M. Bratiano, qui, dès la prise de Sébastopol, a défendu avec talent la cause des populations roumaines et montré les services que son pays pouvait rendre à l’Europe. C’est à la France que s’adressent les Roumains, car la France a le glorieux privilège d’être plus désintéressée qu’aucun autre pays dans les affaires d’Orient; elle ne peut y intervenir, et l’Orient le sait bien, que pour y défendre les intérêts de tous, pour y représenter l’Europe et la civilisation. De là cette confiance des Roumains : pressés longtemps entre les Turcs et les Russes, soumis tour à tour à l’une et à l’autre influence, le jour où le sentiment national s’est réveillé chez eux, ils ont fait appel à la France. La première fois qu’ils se tournèrent vers nous, ce fut sous l’empire; mais Napoléon