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Thomas d’Aquin ; mais ne nous écartons pas du sujet de cette étude : il s’agit du traditionalisme, système absolu, dangereux partout, en politique comme en philosophie. C’est dans la discussion lumineuse de M. Maret qu’il faut chercher les objections dont il l’accable, en le poursuivant dans les diverses interprétations, tantôt atténuantes, tantôt aggravantes, qu’on a données de la doctrine équivoque de M. de Bonald. Parmi les conséquences qu’il impute avec raison à cette malheureuse transformation de la philosophie chrétienne, il en est deux qui nous ont singulièrement frappé. La première, c’est qu’une doctrine qui tend à expliquer l’intelligence par la magie des mots, en écartant tous les systèmes des idées ou acquises, ou innées, ou participées et vues en Dieu, conduit à quelque chose qui se rapproche beaucoup du sensualisme. La parole n’est qu’un fait extérieur et sensible, et si elle appelle seule l’intelligence à l’existence actuelle, si la raison dépend de la parole, elle dépend d’un fait extérieur et sensible, et, pour tout dire, de la sensation. Aussi a-t-on vu des traditionalistes s’éprendre d’une sorte de complaisance pour la philosophie dite sensualiste, et tenter au moins la restauration du péripatétisme. Si l’on veut lire non pas les sermons du père Ventura, dont l’autorité philosophique n’est pas très grande, mais la préface assez remarquable de la dernière édition latine de la Somme contre les Gentils, de saint Thomas d’Aquin, on y verra de savans membres du clergé se déclarer pour Aristote contre Platon, afin de pouvoir préférer le moyen âge au xvii^ siècle et la scolastique à Descartes. C’est une réaction extrême qui aurait bien surpris M. de Bonald lui-même,

Et que méconnaîtrait l’œil même de son père.

La seconde conséquence déjà indiquée, c’est qu’à vouloir tout suspendre à la chaîne d’or de la révélation, on affaiblit l’idée de la révélation même. Pour avoir voulu que tout fût divin, tout cesse de l’être. La pensée d’une révélation naturelle, comme le fait entendre M. Maret, et nous pouvons certifier qu’il est dans le vrai, est une des pensées qui peuvent le plus contribuer à ébranler la foi dogmatique. Sans doute on peut soutenir et il n’est pas hétérodoxe de supposer que tout est révélé, en ce sens que tout vient de Dieu, et qu’à le prendre ainsi, la raison naturelle elle-même est une révélation; mais ce point de vue est également celui du théisme rationaliste, et l’on peut, en s’y plaçant, diriger de fortes attaques contre la nécessité de toute religion révélée. Or il est assez remarquable qu’en ce moment une partie notable des apologistes orthodoxes tendent à se placer dans cette hypothèse particulièrement dangereuse pour l’orthodoxie. Tout le monde a lu, jusque dans certaines publications épiscopales,