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watha. Chasser, pêcher, cultiver le maïs, vivre dans l’intimité de la nature, tel est l’idéal de la vie indienne, et tel est l’idéal que Hiawatha s’efforce de prêcher à son peuple. La réalité qu’il maudit, c’est le vice unique et irrémédiable de ses compatriotes, la férocité belliqueuse, la guerre de tribu à tribu. Abattre cette férocité belliqueuse, faire dominer ces habitudes paisibles de la vie rustique et nomade, telle est la tâche que Hiawatha s’est imposée, tâche digne d’un héros peau-rouge, dont l’âme n’a de rapport qu’avec la nature et ne trouve autour d’elle aucun stimulant qui puisse l’élever au-dessus d’un idéal de douceur et de paix. Les conseillers, les amis et les précepteurs d’Hiawatha sont les grands arbres, les ruisseaux et les oiseaux, qui tous lui répètent à l’envi la même leçon de bonheur tranquille. Les rixes sanglantes des tribus, qui ne sont accompagnées d’aucun autre résultat que de chevelures scalpées et de guerriers liés au poteau, ne lui révèlent aucune idée de civilisation et de société humaine supérieure. La violence, qui, aux temps primitifs, a été pour les grandes âmes une révélation de ce que peut devenir la nature humaine pétrie par d’habiles mains, lui apparaît donc stérile et contraire aux desseins du Grand-Esprit, D’un autre côté, l’homme, étant comme noyé et perdu au milieu de la nature qui l’environne, ne conçoit, en présence de ces imposans spectacles, d’autres images de la vie que des images de repos et de calme. Dans de telles conditions, même pour l’âme d’un héros, toute conception d’une haute société est impossible. Hiawatha est un héros de la vie sauvage : l’aimable fatalité de sa situation n’est nulle part exprimée, mais elle se sent partout dans le poème; la nature entoure de ses bras cet enfant de la savane et des lacs, elle refuse de le laisser s’éloigner d’elle. Tel est le héros du poème de M. Longfellow, héros tout à fait en harmonie avec la nature qui l’environne et avec les hommes que le Grand-Esprit lui a donné mission de civiliser. Cette mission civilisatrice elle-même n’est que la vie sauvage élevée à son plus haut point de perfection.

Hiawatha ne tire pas sa mission d’une inspiration personnelle; il est une sorte de rédempteur envoyé par le Grand-Esprit. C’est là ce qui explique sa grande douceur et son esprit pacifique. S’il eût obéi à ses instincts et à ses passions, peut-être aurait-il été un grand guerrier, capable de fonder sur les bords du Lac-Supérieur, sa patrie, un empire qui aurait rivalisé avec les empires du sud; mais, prophète du Grand-Esprit, il s’oublie lui-même, et son génie tout pacifique ne songera pas à détruire la république sauvage des tribus du nord. C’est l’horreur que la guerre a causée au Grand-Esprit qui est la cause première de la mission d’Hiawatha. Un jour Gitche-Manitou, le Grand-Esprit, ennuyé des querelles des tribus indiennes,