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riage de Ricimer semblait le gage. Cette pensée était au fond de toutes les espérances, au fond de toutes les joies; on la retrouve aussi dans le panégyrique, et non-seulement elle en forme pour ainsi dire l’inspiration dominante, mais elle s’y produit sous un aspect très curieux historiquement, sur lequel j’appellerai un moment l’attention.

Rome n’avait jamais aimé Constantinople, en qui elle s’obstinait à voir une rivale plutôt qu’une fille. Les peuples dépendans de ces deux métropoles transformèrent ces rivalités de villes en rivalités d’empires, et le fier sénat du Capitole n’épargna longtemps ni sa colère ni son dédain au sénat grec, qui l’avait dépouillé d’une moitié de ses conquêtes. La jalousie se tourna en humiliation amère pour l’Occident, lorsque celui-ci, entamé sur toutes ses frontières, se vit décliner rapidement, tandis que son rival, favorisé par une situation meilleure et mieux gouverné peut-être, restait paisible et florissant. Rome put même se plaindre que dans plus d’une circonstance Constantinople s’était garantie des invasions qui la menaçaient en les détournant sur l’Italie. Cette secrète désaffection des peuples avait permis à Ricimer d’opérer entre les deux gouvernemens une séparation effective, sans que Rome s’en préoccupât beaucoup. Cependant les malheurs qui suivirent cette rupture de l’unité, l’insolente tyrannie des Suèves, l’empoisonnement de Sévère après le meurtre de Majorien, l’impossibilité de trouver un empereur aux conditions qu’y mettait le dictateur, ramenèrent l’Italie au sentiment de sa vraie situation. Rome tourna ses regards autour d’elle, et son isolement l’épouvanta. Ce fut alors que le sénat fit près de l’empereur d’Orient cette démarche qui lui valut Anthémius, démarche grave, insolite, douloureuse pour l’orgueil des Occidentaux, car elle contenait l’aveu de leur faiblesse, elle proclamait l’impuissance de Rome à se gouverner elle-même. Enfin, la fausse honte surmontée, on n’avait eu qu’à se féliciter de ce qu’on avait fait : la fille s’était montrée secourable à sa mère; elle lui donnait un empereur, une armée; elle s’alliait avec elle pour la destruction de Genséric; elle voulait enfin conquérir jusqu’à Ricimer lui-même à la concorde en l’attachant par un lien d’affection au raffermissement du monde romain. Voilà ce qui ressortait des derniers événemens, ce que tout le monde sentait et disait, et ce que nous retrouvons sous des formes tantôt allégoriques, tantôt parfaitement nettes, dans les vers de Sidoine Apollinaire.

L’intention se révèle dès le début par cette apostrophe à Constantinople :


« Salut, s’écrie le poète, salut appui des sceptres, reine de l’Orient, Rome de ton univers! Tu n’es plus seulement pour le Romain des contrées de l’aurore le siège vénéré de son gouvernement; ton prix est bien plus grand aujour-