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des mœurs, conservait un dernier sanctuaire dans les formules de l’école.

Après avoir ainsi recouru aux vieux oracles, éclairé par eux, le poète commence. Sévère, dit-il, cédant aux lois de la nature (n’oublions pas qu’il parlait devant Ricimer), venait d’augmenter le nombre des dieux. À cette nouvelle, l’Italie alarmée quitte les sommets de l’Apennin, où elle réside, et se dirige vers les grottes verdoyantes au fond desquelles le Tibre, couronné de mousse et de roseaux, épanche ses premières ondes. L’Italie que nous dépeint Sidoine n’est plus cette mère jeune et puissante du cygne de Mantoue : Magna parens frugum... magna virûm! Les années et les douleurs l’ont affaiblie : elle marche à pas lents, sans casque et sans cuirasse, le bras appuyé sur un orme couronné de pampres, son bâton de vieillesse; mais jusque dans sa décrépitude l’Italie est toujours féconde. L’abondance la suit; partout où elle pose le pied, la terre se couvre de fruits et de fleurs, le vin coule par ruisseaux. A son aspect, le Tibre étonné laisse tomber sa rame et son urne; il veut parler, mais elle le prévient et lui adresse ces mots :


« Je viens réclamer ton assistance, lui dit-elle. Que mes intérêts soient les tiens! Le chef qui nous gouvernait n’est plus : hâte-toi, va trouver Rome, engage-la par tes prières, par tes pleurs, s’il le faut, à suivre désormais de meilleurs conseils. Dis-lui qu’elle se défasse enfin de cet orgueil fastueux qui nous perd, qu’elle daigne se faire aimer davantage. Apprends-lui quels secours elle doit implorer, dans quelle partie de l’univers elle doit chercher un chef. Tous ceux qu’elle a pris dans mon hémisphère ont vu la fortune de l’empire crouler sous eux! Qu’elle s’adresse aujourd’hui à l’Orient!

« Combien d’ennemis m’assiègent de toutes parts! D’un côté, le Vandale me presse et revient chaque année nous rendre les maux que nous fîmes jadis à Carthage. Par un bizarre renversement des choses, le Caucase, transplanté sous le ciel de Lybie, sert aujourd’hui d’instrument aux fureurs de cette ville jalouse. Sans doute Ricimer est là, mais il est seul... L’invincible Ricimer, chargé de toutes nos destinées, repousse lui seul et avec des troupes qui sont à lui les pirates errans dans nos campagnes; mais à peine les a-t-il chassés, qu’ils reviennent : maîtres d’éviter le combat, ils le rendent éternel, et, fugitifs, ils semblent poursuivre leur vainqueur. Comment souffrir un ennemi qui nous refuse à la fois la paix et la guerre? Car, ne nous abusons point, il ne traitera jamais avec Ricimer, qu’il abhorre, et si tu veux connaître les raisons de sa haine, écoute-moi.

« L’orgueilleux Genséric fait sonner bien haut le nom d’un père incertain : la seule chose certaine, c’est qu’il est né d’une femme esclave; or, pour se trouver le fils d’un roi, il faut qu’il proclame l’adultère de sa mère. De là vient sa noire jalousie contre Ricimer : il lui envie sa naissance, parce que deux royaumes l’appellent à régner, les Suèves du côté de son père, les Goths du côté de sa mère. Il se souvient aussi que dans les veines du guerrier qui me défend coule le sang de Vallia, ce roi fameux, terreur des Van-