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qu’Arvandus réclama du fond de sa prison. Ces trente jours d’attente furent pour lui une longue et cruelle torture qui lui mettait sous les yeux jusque dans ses rêves le croc, les gémonies, le lacet et l’horrible figure du bourreau[1]. Ici encore Sidoine Apollinaire vint à son secours. Soit mécontentement de l’indocilité de son ami, soit plutôt vergogne de jouer devant le sénat le rôle de patron d’un tel homme dans une telle cause, l’ancien préfet de Rome n’avait point voulu assister au jugement, et sous un prétexte quelconque il avait quitté la ville; mais après la condamnation il écrivit à l’empereur pour obtenir en faveur du coupable, sinon une grâce entière, du moins celle du dernier supplice, et à son retour à Rome il fit près d’Anthémius les plus pressantes démarches : il réussit. Arvandus, après avoir vu ses biens confisqués (ce n’était pas ce qui le gênait le plus), fut frappé du bannissement perpétuel : « Il eût dû mourir de honte, il a la force de vivre, » dit à ce sujet son protecteur, qui ne l’épargne pas trop dans ses lettres. Tout le monde blâma Sidoine de sa nouvelle intervention, moins excusable encore que la première, puisqu’elle sauvait de la mort un traître avéré, un grand coupable, dont la punition eût été salutaire à ses pareils. Qu’importait l’exil à cet homme qui calculait si bien le déclin de l’empire et croyait à sa chute prochaine? Du lieu de son bannissement, il attendrait chaque jour, l’œil fixé sur la mer, qu’un vaisseau d’Arles ou de Carthage vînt lui apporter sa délivrance avec la nouvelle que Rome n’était plus. Dans l’espérance de ces traîtres qui trafiquaient de la patrie au profit des Barbares, un tel châtiment, c’était l’impunité.

Sidoine lui-même dut regretter amèrement sa faiblesse, lorsque, rentré en Gaule, il vit s’agiter autour de lui cette multitude de Gaulois, agens des Visigoths, dont l’issue de ce procès sembla redoubler l’audace. Il quitta Rome vers le milieu de 469, quand déjà l’aspect des affaires s’assombrissait, qu’un échec menaçait les armes d’Anthémius en Afrique, et que la concorde avait cessé d’exister entre le gendre et le beau-père. Il regagna Lyon le cœur plein de tristes pressentimens; il y tomba juste au milieu d’une fête barbare qui ne contribua pas à l’en distraire : c’était le mariage d’un prince frank, nommé Sigismer, avec la fille de celui des quatre rois burgondes qui avait fixé dans cette ville sa résidence et le siège de sa domination. Sidoine vit le jeune fiancé arriver aux portes de la cité, où le reçurent en grand apparat les officiers burgondes. Sigismer était de haute taille, d’apparence vigoureuse et sanguine, avec de longs cheveux d’un rouge ardent qui pendaient en boucles au-dessous de son casque; il

  1. « Uncum et gemonias, et laqueum per horas turbulenti carnificis horrescens. » Sidon. Apollin., Epist., I, 7.