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animaux ceux qu’il peut rendre, et néglige sans regret ceux qui défient l’imitation. La puissance du pinceau n’est pas illimitée; les arts du dessin ne sont pas destinés à reproduire ce que nous voyons, mais à faire un choix parmi les objets qui s’offrent à notre vue, et quand ils ont choisi, leur tâche n’est pas achevée. Quand ils n’ont rien à exprimer, ils n’exercent aucune action sur les esprits élevés.

Dans un paysage comme dans un tableau d’histoire, c’est la réalité qui saisit la foule, je ne veux pas le contester. On croit fermer la bouche aux défenseurs de l’idéal en produisant cet argument; on oublie que le sentiment de la beauté, qui sommeille chez le plus grand nombre, a besoin pour s’éveiller d’études nombreuses, d’études assidues. L’utile est compris de tous, le vrai n’arrive pas à toutes les intelligences. Le sentiment du beau se développe dans des conditions encore plus rares que le sentiment du vrai. Les partisans de l’imitation littérale sont donc mal venus à citer le témoignage de la foule comme excellent, comme décisif : ce qui plaît aux esprits délicats n’est pas à la portée de la foule. Pourquoi s’en étonner? La foule a d’autres soucis que l’étude de la beauté. Le temps lui manque pour entreprendre l’éducation de toutes les facultés qu’elle possède. Si le temps ne lui manquait pas, elle arriverait à comprendre dans une certaine mesure les questions les plus délicates de la science et de l’art; je dis dans une certaine mesure, parce que tous les hommes ne sont pas doués de facultés égales. Dans le mouvement de la vie moderne, il est facile de comprendre que les conditions de la beauté sont ignorées du plus grand nombre. Il n’est donc pas surprenant que sur mille spectateurs il s’en trouve dix tout au plus qui ne considèrent pas l’imitation comme le but suprême des arts du dessin. C’est le contraire qui devrait nous frapper de stupeur. Une branche d’arbre, une grappe de raisin habilement copiées s’adressent à toutes les intelligences. Une pensée qui prend pour interprète l’aspect d’une vallée ou d’une montagne ne s’adresse qu’aux intelligences préparées par l’étude à la perception de la beauté.

Je ne me suis jamais incliné devant le succès. Aussi la popularité qui s’attache maintenant au paysage d’imitation ne change pas les notions que j’ai puisées dans l’histoire de la peinture. Ce qui était vrai pour moi quand dominait la tradition mal comprise du haut style reste vrai même aujourd’hui, en présence de l’imitation qui prévaut, et comme je n’ai pas encore réussi à propager ma pensée en demeurant sur le terrain de la théorie pure, comme en parlant des artistes vivans, j’ai rencontré une vive résistance, j’ai recours maintenant à l’autorité de l’histoire. Les vérités théoriques exigent trop d’attention pour être saisies la première fois qu’elles s’offrent