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l’œil, on croit qu’on va les toucher; mais on n’aperçoit jamais la forme de ces deux îles comme celle des montagnes qui se découpent à l’horizon de la campagne romaine. C’est pourquoi Claude Lorrain et Nicolas Poussin ont été bien avisés en choisissant pour cadre de leurs compositions les bords du Tibre, Albano, l’Ariccia. Salvator Rosa, dont les gens du monde ont singulièrement exagéré le mérite, se plaisait à reproduire le paysage napolitain, et, quoiqu’il ait souvent fait preuve de talent, il n’a jamais rien produit qui fut empreint d’une vraie grandeur. La nature de ses facultés, son éducation ne sont pas les seules causes auxquelles nous devions attribuer le caractère de ses compositions : le choix du cadre est d’une immense importance. Or, dans le paysage napolitain, les lignes harmonieuses ne se présentent pas fréquemment; ce qui s’offre à nos yeux est plutôt bizarre que beau. Cette singularité de lignes se retrouve dans les ouvrages de Salvator Rosa. Sans parler de l’exécution, qui laisse beaucoup à désirer, et qui étonne plus souvent qu’elle ne charme, nous sommes obligé de reconnaître qu’il satisfait bien rarement aux conditions de l’harmonie linéaire. Pour les partisans de l’imitation pure, c’est une chose toute simple, et qui ne soulève aucune objection. Salvator a copié ce qu’il voyait habituellement, et l’on est mal venu à blâmer la fidélité de son pinceau; mais Salvator, qui ne compte pourtant pas parmi les peintres de premier ordre, ne faisait pas fi de l’idéal : il s’efforçait à sa manière d’agrandir ce qu’il voyait. S’il n’a pas mieux réussi, ce n’est pas faute de bon vouloir.

Les environs de Florence et la Toscane tout entière, sans offrir la même grandeur que la campagne romaine, présentent pourtant à la peinture plus de ressources que le royaume de Naples. Parmi les diverses parties de l’Italie, c’est la seule qui se rapproche du paysage romain par l’harmonie linéaire. Quand on a gravi la pente qui mène à Fiesole, on aperçoit des motifs nombreux, simples, variés, qui sollicitent le pinceau. A Pise, le peintre se trouve encore plus heureusement placé. Je ne parle pas des palais qui charment le regard par leur élégance plus encore que par leur richesse, je parle des montagnes dont le bleu sombre se détache sur l’azur du ciel. C’est un spectacle qui ravit les plus indifférens et ne s’oublie jamais. Ce n’est pas aussi beau que les environs de Rome ou de Subiaco, mais c’est un cadre excellent pour celui qui sait manier le pinceau de façon à révéler sa pensée en prenant pour interprète la nature qu’il a devant lui.

Les plaines opulentes de la Lombardie, très dignes d’étude pour l’agronome, n’offrent pas au peintre un bien vif intérêt. Quant à Venise, c’est un spectacle dont le type ne se retrouve nulle part, qu’on se rappelle avec bonheur; mais ce n’est pas en se promenant