Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/784

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir résolu que Claude Lorrain et Poussin ont pris rang à côté des peintres d’histoire. Depuis qu’ils ont écrit leur pensée, il n’est plus permis de traiter le paysage comme un genre secondaire. Si les conditions qu’ils avaient acceptées, qui expliquent l’élévation de leurs ouvrages, n’étaient pas aujourd’hui méconnues ou négligées par ceux qui croient avoir agrandi leur domaine, les peintres d’histoire ne parleraient pas si légèrement de la nature inanimée. D’ailleurs l’oubli ou l’ignorance de ces conditions se rattache à une question plus générale, à l’éducation des artistes. Comment l’idéal tiendrait-il la place qui lui appartient dans le paysage, quand il joue dans l’enseignement un rôle si modeste? Les concours institués pour l’encouragement du paysage historique prouvent assez clairement qu’à l’école de Paris, la pratique matérielle du métier a plus d’importance que la pensée. Les figures indiquées par le programme, et qui doivent servir à la représentation d’une scène mythologique, sont traitées de manière à ne pas trop occuper l’attention. On dirait que les élèves sont invités à ne pas détourner les regards du spectateur de la forme et de la couleur des plantes et des montagnes : s’ils reçoivent un tel conseil, ils n’en tiennent que trop de compte; mais le paysage proprement dit manque de vie. Quelques masses traditionnelles, d’une couleur quelquefois heureuse, forment tout l’intérêt de la composition. Les exceptions qu’on pourrait citer ne démentiraient pas la justice de nos plaintes. Tant qu’on n’aura pas changé l’éducation générale des artistes, il ne faut pas espérer qu’ils comprennent de bonne heure l’importance de la pensée.

Ruysdaël était d’un caractère mélancolique, et son caractère se retrouve dans ses ouvrages. A voir le soin religieux avec lequel il a rendu tous les détails que lui offrait la nature hollandaise, on serait tenté de croire qu’il n’a rien cherché au-delà de l’imitation, et cependant, quand on étudie l’ensemble de ses œuvres, il demeure évident qu’il a visé plus haut. De tous les paysagistes de son pays, c’est à coup sûr celui qui accordait le plus d’importance à la pensée. Choisissait-il autour de lui les sites qui répondaient à l’état de son âme, et se dispensait-il presque toujours d’abord de la composition dans le sens le plus libre du mot? Cette conjecture ne blesse en rien la raison. Ruysdaël, qui avait abandonné la profession de médecin pour se livrer tout entier à la peinture, était porté, par sa nature et par sa première éducation, vers les idées les plus élevées; mais, sans se livrer à de grands efforts d’invention, il pouvait rendre ce qu’il sentait. Il ne copiait pas ce qu’il voyait pour le seul plaisir de le copier, mais il imitait ce qu’il avait devant les yeux pour traduire l’impression qu’il avait reçue, et à mesure qu’il avançait dans son œuvre, il corrigeait dans son modèle ce qui ne s’accordait pas avec son dessein; il supprimait ce qui lui semblait inutile, agrandissait ce qui lui paraissait