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contre la main ou la volonté du ciel, ni je ne rabats rien de mon courage ou de mon espérance. Debout et ferme, je vogue droit en avant. Qui me soutient, demandes-tu ? La conscience, ami, de les avoir perdus, épuisés pour la défense de la liberté, ma noble tâche, dont l’Europe parle d’un bord à l’autre. Cette seule pensée me conduirait à travers la vaine mascarade du monde, content, quoique aveugle, quand je n’aurais pas de meilleur guide. » Ses biographes témoignent qu’il répéta jusqu’au bout ces fortes paroles. Il « s’armait de lui-même[1], » et « la cuirasse de diamant » qui avait défendu l’homme fait contre les blessures de la bataille défendait le vieillard contre les doutes, les découragemens et les tentations de la défaite et de l’adversité.

La force de conviction qui soutient l’homme contre les séductions honteuses l’aveugle contre les faits palpables, et dans un héros on trouve souvent un théoricien. Milton n’est pas un homme d’état, raisonneur prudent, les yeux appliqués sur les événemens, mesurant le possible, usant de la logique pour la pratique. Il est spéculatif et chimérique. Enfermé dans ses idées, il ne voit qu’elles et s’éprend d’elles. Quand il plaide contre les évêques, il veut qu’on les extirpe à l’instant, sans précaution, sans ménagemens, sans réserve ; il exige qu’on établisse le culte presbytérien à l’instant, sans précaution, sans ménagemens, sans réserve. C’est le commandement de Dieu, c’est le devoir de tout fidèle. Prenez garde de badiner avec Dieu ou de temporiser avec la foi. Concorde, douceur, liberté, piété, il voit sortir du culte nouveau tout un essaim de vertus. Que le roi ne craigne rien : son pouvoir en sera plus ferme. Vingt mille assemblées démocratiques prendront garde d’attenter contre son droit[2]. Ces idées font sourire. On reconnaît l’homme de parti qui, sur l’extrême penchant de la restauration, quand « toute la multitude était folle du désir d’avoir un roi, » publiait « le moyen aisé et tout prêt d’établir une libre république, » et en décrivait le plan tout au long. On reconnaît le théoricien qui, pour faire instituer le divorce, n’avait recours qu’à l’Écriture, et prétendait changer la constitution civile d’un peuple en changeant le sens accepté d’un verset. Les yeux fermés, le texte sacré dans la main, Milton marche de conséquence en conséquence, foulant les préjugés, les inclinations, les habitudes, les besoins des hommes, comme si le raisonnement ou l’esprit religieux était tout l’homme, comme si l’évidence produisait toujours la croyance, comme si la croyance aboutissait toujours à la pratique, comme si, dans le combat des doctrines, la sainteté ou la vérité donnait aux doctrines la victoire et la royauté.

  1. Sonnets italiens, VI, 4.
  2. Of Reformation, 277.