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ciété conjugale, lesquels sont la consolation et la paix, est une plus grande raison de divorce que la frigidité naturelle, spécialement s’il n’y a point d’enfans et s’il y a consentement mutuel. » Là-dessus arrive, légion par légion, l’armée disciplinée des argumens. Bataillons par bataillons, ils passent numérotés avec des étiquettes visibles. Il y en a une douzaine à la file, chacun avec son titre en caractères tranchés et la petite brigade de subdivisions qu’il commande. Les textes sacrés y tiennent la grande place. On les discute mot à mot, le substantif après l’adjectif, le verbe après le substantif, la préposition après le verbe ; on cite des interprétations, des autorités, des exemples, qu’on range entre des palissades de divisions nouvelles. Et cependant l’ordre manque, la question n’est point ramenée à une idée unique ; on ne voit point sa route ; les preuves se succèdent sans se suivre ; on est plutôt fatigué que convaincu. On reconnaît que l’auteur parle à des gens d’Oxford, laïques ou prêtres, élevés dans les disputes d’apparat, capables d’attention obstinée, habitués à digérer les livres indigestes. Ils se trouvent bien dans ce fourré épineux de broussailles scolastiques ; ils s’y fraient leur route, un peu à l’aveugle, endurcis contre les meurtrissures qui nous rebutent et n’ayant point l’idée du jour que nous demandons partout.

Chez de si massifs raisonneurs, on ne cherchera point l’esprit. L’esprit est l’agilité de la raison victorieuse ; ici, parce que tout est puissant, tout est lourd. Quand Milton veut plaisanter, il a l’air d’un piquier de Cromwell qui, entrant dans un salon pour danser, tomberait sur son nez de tout son poids et de tout le poids de son armure. Il y a peu de choses aussi stupides que ses Remarques sur un Contradicteur. Au bout d’une réfutation, son adversaire concluait par ce trait d’esprit théologique : « Voyez, mon frère, vous avez pêché toute la nuit avec Simon sans rien prendre. » Et Milton réplique glorieusement : « Si, en pêchant avec Simon l’apôtre, nous ne pouvons rien prendre, regardez ce que vous prenez, vous, avec Simon le magicien, car il vous a légué tous ses hameçons et tous ses instrumens de pêche. » Un gros rire sauvage éclatait. Les assistans apercevaient de la grâce dans cette façon d’insinuer que l’adversaire était simoniaque. Un peu plus haut, celui-ci posait ce dilemme : « Dites-moi, cette liturgie est-elle bonne ou mauvaise ? — Elle est mauvaise. Réparez la corne de votre dilemme achéloien, comme vous pourrez, pour la première charge. » Les savans s’émerveillaient de la belle comparaison mythologique, et l’on se réjouissait de voir l’adversaire finement comparé à un bœuf, à un bœuf vaincu, à un bœuf païen. À la page suivante, l’adversaire disait, en façon de reproche spirituel et railleur : « Vraiment, mes frères, vous n’avez pas bien pris la hauteur du pôle. — Rien d’étonnant, répond Milton, il y en a beaucoup d’autres qui ne prennent pas bien la hau-