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teur de votre pôle, mais qui prendront mieux le déclin de votre élévation. » Il y a de suite trois calembours du même goût ; cela paraissait gai. Ailleurs, Saumaise criant que le soleil n’avait jamais vu de crime comparable au meurtre du roi, Milton lui conseillait ingénieusement de s’adresser encore au soleil, non pour éclairer les forfaits de l’Angleterre, mais pour réchauffer la froideur de son style. La lourdeur extraordinaire de ces gentillesses annonce des esprits encore empêtrés dans l’érudition naissante. La réforme est le commencement de la libre pensée, mais elle n’en est que le commencement. La critique n’est point née ; l’autorité pèse encore par toute la moitié de son poids sur les esprits les mieux affranchis et le plus téméraires. Milton, pour prouver qu’on peut faire mourir un roi, cite Oreste, les lois de Publicola et la mort de Néron. Son histoire d’Angleterre est l’amas de toutes les traditions et de toutes les fables. En toute circonstance, il offre pour preuve un texte de l’Écriture ; son audace est de se montrer grammairien hardi, commentateur héroïque. Il est aveuglément protestant, comme d’autres sont aveuglément catholique. Il laisse à la chaîne la haute raison, mère des principes ; il n’a délivré que la raison subordonnée, interprète des textes. Pareil aux créatures énormes demi-formées, enfans des premiers âges, il est encore à moitié homme et à moitié limon.

Est-ce ici que nous rencontrerons la politesse ? C’est la dignité élégante qui répond à l’injure par l’ironie calme, et respecte l’homme en transperçant la doctrine. Milton assomme grossièrement son adversaire. Un pédant hérissé, né de l’accouplement d’un lexique grec et d’une grammaire syriaque, Saumaise avait dégorgé contre le peuple anglais un vocabulaire d’injures et un in-folio de citations. Milton lui répondit du même style : il l’appela « histrion, charlatan, professeur d’un son[1], cuistre payé, homme de rien, coquin, être sans cœur, scélérat, imbécile, sacrilège, esclave digne des verges et de la fourche. » Le dictionnaire des gros mots latins y passa. « Toi qui sais tant de langues, qui parcours tant de volumes, qui en écris tant, tu n’es pourtant qu’un âne. » Trouvant l’épithète jolie, il la répéta et la sanctifia : « le plus bavard des ânes, tu arrives monté par une femme, assiégé par les têtes guéries des évêques que tu avais blessés, petite image de la grande bête de l’Apocalypse ! » Il finit par l’appeler bête féroce, apostat et diable : « Ne doute pas que tu ne sois réservé à la même fin que Judas, et que, poussé par le désespoir plutôt que par le repentir, dégoûté de toi-même, tu ne doives un jour te pendre, et, comme ton émule, crever par le milieu du ventre. » On croit entendre les mugissemens de deux taureaux.

Ils en avaient la férocité. Milton haïssait à plein cœur: il combattit

  1. « Professor triobolaris. »