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tenir la Nature chancelante dans sa loi, — et pour conduire la danse mesurée de ce bas monde — aux accens célestes que nul ne peut entendre, — nul formé de terre humaine, tant que son oreille grossière n’est point purifiée. »


Ce style serein, ce talent d’agrandir, ce besoin du sublime, se sont d’abord exercés sur des sujets païens. Ils convenaient au poète. Jeune encore, éloigné des affaires, mal saisi par l’âpre puritanisme, imbu de la Grèce sa mère et de ses frères les riches poètes de la renaissance, tout charmé par l’élévation de Platon et par la beauté des dieux antiques, il s’attarda parmi les vers latins et italiens ; il écrivit une noble élégie, Lycidas, deux petits poèmes achevés, l’Allegro et le Penseroso, et rencontra enfin sa plus belle œuvre, le Comus.

Ici, du premier élan, nous sommes dans les cieux. Un esprit descendu au milieu des bois sauvages prononce cette ode :


« Devant le seuil étoile du palais de Jupiter — est ma demeure, parmi ces larmes immortelles, — esprits éthérés, qui vivent lumineux — dans des sphères sereines d’air paisible et pur, — au-dessus de la fumée et du tumulte de ce coin obscur — que les hommes appellent la terre, étable vile — où, confinés et empestés par leurs basses pensées, — ils luttent pour conserver une frêle et fiévreuse vie, — oubliant la couronne que la vertu donne, — après ces vicissitudes mortelles, à ses vrais serviteurs, — au milieu des dieux trônant sur leurs sièges sacrés. »


De tels personnages ne peuvent point parler ; ils chantent. Le drame qu’ils prononcent est un opéra antique composé, comme le Prométhée, d’hymnes solennels. Le spectateur est transporté hors du monde réel. Ce ne sont point des hommes qu’il écoute, mais des sentimens. Il assiste à un concert comme dans Shakspeare. Le Comus continue le Songe d’une Nuit d’été, comme un chœur viril de voix profondes continue la symphonie ardente et douloureuse des instrumens.

« Dans les sentiers embrouillés de cette forêt sourcilleuse, où l’ombre frissonnante menace les pas du voyageur perdu, » erre une noble dame, séparée de ses deux frères, troublée par les cris sauvages et par la turbulente joie qu’elle entend dans le lointain. C’est le fils de Circé l’enchanteresse, le sensuel Comus, qui danse et secoue des torches parmi les clameurs des hommes changés en brutes ; c’est l’heure « où les lacs et les mers, avec leurs troupeaux écailleux, mènent autour de la lune leurs rondes ondoyantes, pendant que sur les sables et les pentes brunies sautillent les prestes fées et les nains pétulans. » Elle s’effraie, elle s’agenouille, et « dans les noirs nuages qui tournent leur bordure d’argent sur la nuit, » elle aperçoit l’Espérance aux blanches mains, la Foi aux regards purs, et la