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cueillait donc avec joie l’espoir d’une lutte prochaine. Il faut souvent à l’armée la distraction de la poudre pour ranimer et relever le soldat, dont le courage se détend assez vite après de longues marches sans rencontres.

Le 30, on fit une reconnaissance dans la direction de la ville. L’ennemi ne bougeait pas, il nous attendait sur son terrain. Le lendemain, toute la colonne se mit en mouvement et vint camper sur l’Oued-Abdi, un peu au-dessus du débouché du ravin de Narah, à un endroit appelé Chelma, non loin de Menah. Là on attendit en vain les soumissions. Chaque jour, les Arabes venaient tirer sur nos avant-postes et sur les troupes envoyées en reconnaissance. D’abord ils ne nous faisaient pas grand mal, et nous ne leur répondions que faiblement, afin de ménager les munitions; mais comme ils devenaient plus entreprenans et plus dangereux, il fallut riposter, et bientôt on obligea ces nuées d’oiseaux de proie à s’envoler dans leurs montagnes.

Avant de porter le coup décisif, le chef de l’expédition voulut essayer, comme à Zaatcha, d’amener l’ennemi à composition en le frappant dans ses intérêts les plus précieux, en dévastant au lieu de tuer. Il envoya du camp des corvées armées pour détruire les magnifiques jardins fruitiers que cultivaient les gens de Narah, et qui s’étendent en gradins artistement disposés sur les pentes, jusqu’au lit de la rivière. Une pareille destruction, qui ruinait en quelques heures le fruit de longues années de travail, la principale richesse du pays, aurait dû faire fléchir les plus opiniâtres : elle ne servit qu’à irriter, qu’à fortifier en eux l’esprit de résistance.

Dès le 3 janvier 1850, on se prépara à l’attaque de vive force. Il n’y avait plus à perdre un jour. Le temps était devenu tout à coup rigoureux, ainsi qu’il arrive dans ces contrées élevées, où la température passe souvent par les plus brusques variations. La pluie et le froid assiégeaient déjà notre petit camp, où les vivres n’abondaient pas. Le soldat, depuis quelque temps, était réduit à la ration de biscuit, qu’il faisait cuire avec la viande des maigres bœufs de notre troupeau. Le peu de vin qu’on avait apporté si difficilement à des de mulets devait être réservé pour les malades, et l’eau de l’Oued-Abdi était presque glacée. Pour des troupes qui avaient accompli cinq mois de campagne sans relâche, ces premières atteintes de l’hiver devenaient fort pénibles. L’absence de toutes nouvelles ajoutait à la souffrance des privations une certaine tristesse, et chacun attendait avec impatience le moment de l’action, comme prélude de celui du retour.

L’avant-veille du jour qui avait été fixé pour l’attaque, des chefs ennemis étant venus dans notre camp en parlementaires, le colonel Canrobert, après les avoir engagés à se soumettre, essaya de leur