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vait : aussi il se contenta de ce qu’on voulait bien lui donner. Toute la première partie de la nuit se passa à faire bouillir le café auprès de grands feux de bivouac; c’était sa distraction, c’était son seul plaisir, car, dans son insouciance, et avec la légèreté d’esprit qui lui est propre, il se préoccupe bien peu de la mort qui l’attend dans quelques heures. L’officier seul, plus sérieux et plus pénétré de l’importance de ses devoirs, se livre au repos pour ménager ses forces, qui lui sont bien plus nécessaires qu’à ceux qui obéissent.

Trois colonnes, avons-nous dit, devaient attaquer Narah à la pointe du jour par trois côtés différens. La première, sous les ordres du colonel Carbuccia[1], composée du 5e bataillon de chasseurs, du 3e bataillon de la légion étrangère et d’une compagnie de zouaves, se réunissait, le 5 janvier 1850, vers trois heures du matin. Les hommes étaient sans sac; ils emportaient seulement des cartouches et des vivres roulés dans une demi-couverture de campement. On avait calculé qu’il fallait à la première colonne plus de quatre longues heures de marche pour prendre la ville à revers avant le jour. Cette troupe remonta d’abord sur un espace de près d’une lieue le cours de l’Abdi, puis se jeta tout à coup à droite dans les montagnes; elle était précédée de guides arabes, que l’appât du gain rend capables de tout braver, et qui, marchant en avant, exposés aux premiers coups, s’acquittent hardiment de leur dangereux métier. Pendant cette lente ascension, qu’éclaira heureusement la clarté de la lune, il fallut vaincre à chaque pas de nouvelles difficultés; on était forcé de descendre et de remonter successivement des précipices affreux, qui devenaient, à mesure qu’on avançait, plus impraticables. Plusieurs fois on crut qu’il faudrait y renoncer; mais le coup d’œil sûr et la prompte intelligence du chef d’état-major Besson[2], rectifiant au besoin, sur un terrain qu’il devinait plutôt qu’il ne le connaissait, les mouvemens incertains de l’avant-garde, surmontèrent tous les obstacles. L’ennemi, il est vrai, supprima celui qui était le plus à craindre, — sa propre défense; ne croyant pas qu’une marche en colonne fût possible à travers des rochers où il fallait se servir presque constamment des mains pour avancer, il nous laissa tourner tranquillement toutes ses positions. Nous arrivâmes ainsi, avant le lever du soleil, sur la hauteur qui contourne et domine Narah, attendant que les deux autres corps fussent engagés sérieusement avec les assiégés pour forcer l’une des entrées de la ville, et restant en même temps à portée du

  1. Devenu général, il fut une des premières victimes de la guerre d’Orient.
  2. Lieutenant-Colonel, major de tranchée devant Sébastopol, atteint de deux coups de feu à l’assaut de Malakof.