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anciens, non pas à la manière d’une mode qui change, circonstance qui se produit à chaque instant sous nos yeux et sans cause absolument nécessaire : il a péri avec les institutions, quand il a fallu plaire à des vainqueurs barbares, comme ont été par exemple les Romains par rapport aux Grecs. Il s’est corrompu surtout quand les citoyens ont perdu le ressort qui portait aux grandes actions, quand la vertu publique a disparu, et j’entends par là, non cette vertu des anciennes républiques commune à tous les citoyens et les excitant au bien, mais au moins ce simple respect de la morale qui force le vice à se cacher. Il est difficile de se figurer des Phidias et des Apelles sous le régime des affreux tyrans du Bas-Empire, au milieu de l’avilissement des âmes, quand les arts se font plus volontiers les complaisans de l’infamie. Le règne des délateurs et des scélérats ne saurait être celui du beau, et encore moins celui du vrai. Si ces trésors inestimables peuvent encore se rencontrer quelque part, ce sera dans les vertueuses protestations d’un Tacite ou d’un Sénèque : les grâces légères, les molles peintures auront fait place à l’indignation ou à une résignation stoïque.

L’influence des mœurs est plus efficace que celle du climat. Le ciel de l’Attique est resté le même, et il ne produit pourtant ni des Démosthènes ni des Praxitèles. On parcourrait vainement aujourd’hui la Grèce et ses îles, on n’y trouverait ni un orateur ni un sculpteur.

Ce beau, si difficile à rencontrer, est plus difficile encore à fixer : il subit absolument, comme les habitudes, comme les idées, toute sorte de métamorphoses. Je n’ai pas dit, et personne n’oserait dire qu’il puisse varier dans son essence, car il ne serait plus le beau, il ne serait que le caprice ou la fantaisie; mais son caractère peut changer : telle face du beau qui a séduit une lointaine civilisation ne nous étonne ni ne nous plaît comme celle qui répond à nos sentimens, ou, si l’on veut, à nos préjugés. Nunquam in codem statu permanet, a dit de l’homme l’antique Job. Nous pouvons suivre ces différences successives chez ceux mêmes que nous appelons les anciens.

Certes Tite-Live et Horace ressemblent plus à Montesquieu, à La Fontaine ou à Boileau qu’ils ne ressemblent eux-mêmes à Pindare et à Hérodote. Inspirés par des idées analogues, arrivés dans un de ces momens où la civilisation est à son apogée, on dirait que ces génies sont de la même famille, et qu’ils se donnent la main à travers l’intervalle des siècles et de la barbarie. Il s’est produit un phénomène singulier par suite de cette analogie : c’est que nos classiques sont devenus presque des anciens à leur tour. L’éclat et la nouveauté de la littérature dans ce moment précis où nous vivons, mais surtout les sources différentes où elle a puisé, son caractère, emprunté presque entièrement aux littératures du Nord, ont fait reculer dans un lointain vénérable les grandes images de ces hommes qui ont illustré