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appréciés à leur juste valeur et quelquefois surtaxés par les contemporains[1]. »

Trois hommes, aussi différens par le génie que par le caractère, ont créé la musique instrumentale et ce magnifique poème qu’on nomme la symphonie : ce sont Haydn, Mozart et Beethoven. Du grand atelier de formes et de combinaisons harmoniques de toute nature qui constitue l’œuvre colossale de Sébastien Bach, et particulièrement des sonates pour clavecin de son fils Emmanuel, qui déjà avait mis dans son style quelque chose de cet agrément et de cette légèreté qui devaient prévaloir dans la musique moderne, Joseph Haydn tire une partie des élémens dont il compose successivement son œuvre admirable. Il entremêle ces emprunts faits à l’art un peu sévère de son pays de l’étude des maîtres italiens, surtout d’un nommé Sammartini, homme de génie, dont l’œuvre prématurée, comme celle de notre Gossec, est restée inconnue, et paraît avoir beaucoup servi à l’éducation du père de la symphonie. Haydn est un musicien de premier ordre qui, par l’abondance des idées mélodiques, par la clarté du plan et la pureté constante du style, n’a pas été dépassé. Il reste le maître par excellence qu’il faudra toujours étudier et dont l’influence est salutaire sur la postérité qui se nourrit de sa parole. Mozart, enfant divin dont le berceau est déjà rempli de miracles, apprend tout, ose tout, et embrasse toutes les formes. Il mêle les ressouvenirs de l’école italienne, dont il fut aussi un disciple respectueux, aux emprunts qu’il fait aux maîtres de son pays, Emmanuel Bach, Gluck et Haydn, et il enfante une œuvre unique, où le charme, la tendresse et la profondeur du sentiment s’unissent à l’élégance des formes, à la pureté d’une harmonie constamment hardie, qui devance les temps. Selon l’heureuse expression de M. Oulibichef, Mozart trouve l’inconnu dans le beau. Ses plus grandes témérités de langage sont des intuitions de la nature des choses que l’avenir s’empressera de consacrer. Mozart occupe dans l’histoire de l’art cette place unique qui appartient à la grâce suprême qui s’insinue et domine sans efforts : il est le bien-aimé de la sainte triade qui unit le père au fils, le passé à l’avenir. Son œuvre, plus étendue et plus variée que celle d’Haydn, embrasse tous les genres, et dans tous l’artiste incomparable atteint la perfection. Venu après ces deux grands hommes, Beethoven, qui est bien un enfant du XIXe siècle, en révèle aussitôt le caractère maladif et dominateur. Indocile dès les premiers bégaiemens de sa muse, il apprend mal la langue des maîtres consacrée par les chefs-d’œuvre de ses devanciers, et il se hâte de rompre tout commerce avec la tradition des écoles d’Italie, dont il repousse et dédaigne la bénigne influence. Beethoven est le premier grand compositeur de son pays qui ne franchira pas les monts, et qui, ainsi que Weber et Schubert, n’ira pas s’inspirer au beau pays où fleurissent les orangers. Préoccupé d’idées grandioses qui dépassent peut-être le monde purement musical, poète et philosophe, s’abreuvant constamment aux sources troublées des utopies divines, et la tête toujours remplie des rêves immortels de la révolution française, l’auteur de la Symphonie héroïque, de celle en ut mineur, de la symphonie en la, de la Pastorale et de la Symphonie avec chœurs, crée une œuvre grandiose, où l’infini des horizons, la magnificence et la nouveauté

  1. Voyez p. 308.