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les pays d’Europe ; mais à cet élément principal viennent se joindre d’assez nombreux accessoires, sorte de menu bagage légué par le régime servile, que le noir avait intérêt à conserver, et qu’il était à la fois humain et politique de lui laisser. Ainsi, indépendamment du salaire fixe par heure de travail, le noir a droit à l’habitation et à la jouissance d’une certaine parcelle de terre qu’il cultive, et dont il vend les produits à son gré. Le taux du salaire fixe a plusieurs fois varié dans les diverses colonies depuis l’abolition de l’esclavage : celui du simple cultivateur est aujourd’hui de 1 franc à la Martinique ; mais en tenant compte des journées de contre-maîtres et ouvriers d’état, qui sont de 2 fr. 50 cent, et 3 fr., on arrive à une moyenne minimum d’environ 1 fr. 25 cent, de salaire métallique pour le noir ; on assure cependant qu’à la Guadeloupe, où la reprise des affaires est moins marquée, le salaire métallique n’atteint pas 1 fr. Le paiement se fait régulièrement à la fin de chaque semaine. Sur diverses propriétés existe encore un certain mode d’arrangement qui s’était fort répandu dans les premiers temps de l’émancipation sous le nom de colonage paritaire ou par tiers, comme on disait plus communément. Le propriétaire fournit la terre ; le noir la cultive, livre les cannes à la balance, et le produit brut se partage par tiers, — un tiers pour le travailleur, les deux autres pour le domaine. Malgré son apparence léonine, cette sorte de tenure est ruineuse pour le planteur, et le maintien en eût été désastreux pour l’avenir des colonies. Le propriétaire du sol, qui en le concédant n’avait eu en vue que la culture de la canne, ne tarda pas à se convaincre que le noir la négligeait complètement pour se livrer à l’élève du bétail et à une foule de cultures secondaires dont sa sucrerie n’avait que faire, et qui d’ailleurs restaient en dehors de ce fallacieux métayage. La canne, abandonnée à elle-même et sans autre renouvellement que celui de ses repousses, ne livrait à la coupe qu’un roseau sec et rabougri. On marchait à une dégénérescence évidente, et plus d’une ruine aujourd’hui irrémédiable est sortie de ce mode d’exploitation là où le propriétaire n’a pas eu l’énergie morale ou les ressources nécessaires pour y mettre fin.

On s’est bien gardé de rien tenter de semblable quant à la rémunération des coolies. On s’est efforcé de la rendre suffisante, mais en laissant à l’immigrant son caractère étranger, en évitant de le rattacher au sol pour son propre compte. Ainsi il est nourri, logé, vêtu, il reçoit les soins médicaux et a droit à un salaire fixe. Ce salaire, qui est uniforme, ne s’élève, en valeur métallique, qu’à 12 fr. 50 c. par mois, soit 50 cent, par jour ouvrable ; mais on calcule qu’avec les frais de nourriture et d’entretien qui viennent d’être énumérés et la part des frais d’introduction incombant au planteur, ce travailleur