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impose au domaine une dépense moyenne, supérieure à celle que nécessite le noir, soit 1 fr. 50 cent, par jour[1].

Les noirs et les Asiatiques travaillent séparément, mais par ateliers, comme on dit aux Antilles, par bandes, comme on dit à la Réunion. Vainement on a voulu d’abord renoncer à ce mode, qui rappelle un errement de l’esclavage : il a fallu y revenir, parce que le travail collectif est le seul qui convienne à la grande culture coloniale. La durée de la période ouvrable est, comme en France, de douze heures, avec suspension de trois heures pour les repas. Aux Antilles, les domaines de premier ordre ne comptent pas plus de 80 ou 100 travailleurs à leur atelier agricole. À la Réunion, où existent des exploitations beaucoup plus considérables, on trouve fréquemment en ligne des bandes de 250 à 300 individus, souvent tous Indiens. Si l’on joint à cet élément les autres sources de dépenses de l’exploitation (engrais, combustible, entretien et réparations d’usine, bestiaux, etc.), on se fera aisément une idée de l’importance du fonds de roulement d’une sucrerie coloniale[2]. Nous n’avons pas besoin de dire à quel point il serait difficile de bien déterminer la proportion entre le revenu brut et le revenu net : cette question rentre en effet dans celle du prix de revient de la denrée, l’une des plus complexes et par conséquent des plus controversées qui existent ; mais pour en donner une idée au moins superficielle, il y a lieu de constater que, dans l’opinion d’hommes très pratiques, on peut, — le sucre étant à un prix raisonnable, — admettre que les frais d,’exploitation s’élèvent aux deux tiers du revenu brut pour la moyenne des sucreries aux Antilles. Il résulterait d’un document

  1. Aux termes du contrat passé avec la Compagnie générale maritime, les frais d’introduction d’un Indien rendu aux Antilles ressortent à 415 fr., dont 50 remis à l’immigrant à titre d’avance au moment du départ, et 30 fr. de droit d’enregistrement qui sont à la charge de l’engagiste. Sur les 335 fr, représentant réellement le prix du transport, 80 fr. sont encore à la charge du planteur, et 250 fr. sont payés par la caisse d’immigration. À la Réunion, où, comme nous l’avons dit, l’immigration se fait sans l’intervention financière du gouvernement, les cessions de contrat, qui se traitaient au début sur le pied de 300 fr, ont atteint cette année les chiffres de 800 et 1,000 fr. Ainsi, la puissance du travail libre se multipliant par elle-même, le planteur de cette colonie s’est trouvé assez riche pour payer un louage de cinq ans d’une somme bien supérieure à celle qu’il avait reçue du trésor en dédommagement de la propriété d’un esclave. On peut tirer de ce fait un salutaire enseignement : c’est que la dépense de l’immigration aux Antilles pourrait être considérablement réduite pour l’état, s’il pressait le recrutement des contingens au lieu, de répartir l’opération sur un certain nombre d’années. Il est permis en effet de croire qu’une fois en possession de 15 ou 20,000 travailleurs du dehors, chacune de nos deux lies se trouverait en mesure de continuer l’opération au moyen des ressources personnelles des planteurs.
  2. En 1854, parmi les causes de la pénurie monétaire dont souffrait la Martinique depuis les dernières années, la presse locale comptait la nécessité de pourvoir à un salaire métallique pouvant s’élever à 4,600,000 fr.