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colonies. N’est-il aucun enseignement à tirer de cette situation au point de vue de la civilisation et de l’humanité ?

Nous avons dit, et c’est là ce qui justifiera peut-être l’abondance de nos développemens, que l’immigration asiatique nous semblait destinée à modifier les conditions du travail dans une partie du monde. Certes les nations chrétiennes encore rivées à la chaîne de l’esclavage africain ne se complaisent pas dans cette situation exceptionnelle. Si elles s’y maintiennent, c’est qu’elles croient sincèrement que là seulement sont les forces qui peuvent mettre en valeur les terres que féconde un soleil tropical. L’Espagne, par exemple, n’a-t-elle pas le sentiment du danger auquel sont aujourd’hui exposées ses deux belles possessions du golfe du Mexique, prises en quelque sorte entre le double feu de la révolte intérieure et de la conquête anglo-américaine ? La république anglo-américaine, qui ne songe à cet audacieux envahissement qu’en vue d’équilibrer chez elle les forces de l’esclavage, n’a-t-elle pas, elle aussi, le sentiment que l’esclavage est la pierre d’achoppement de sa glorieuse fédération, et que de plus il renferme peut-être pour elle d’effroyables calamités intestines ? — Qu’un nouvel horizon s’ouvre pour ces nations, qu’il leur soit démontré par des faits incontestables que le servage n’est pas le dernier mot du travail agricole sous la zone torride, et la cause de l’émancipation de la race africaine aura triomphé de son plus redoutable adversaire : l’obstination de l’intérêt privé. Cette grande et sainte expérience, l’Angleterre ne permet pas aujourd’hui qu’elle s’accomplisse dans les conditions de spontanéité et de développement qui en assureraient le plein succès. En apportant de fâcheuses entraves à l’immigration des travailleurs libres, elle méconnaît à la fois les droits de l’individu et ceux de l’humanité. Le cosmopolitisme n’est plus seulement aujourd’hui l’aspiration du vieux monde civilisé, il est encore celle de populations réputées barbares. L’Africain s’expatrie librement pour aller accomplir un engagement de travail, dans les colonies européennes. Le Chinois va féconder les îles de la Sonde, et menace en Californie l’Anglo-Américain de son industrieuse concurrence. L’Indien, après avoir traversé l’océan qui baigne, son pays pour aller tripler les produits de Maurice et doubler ceux de la Réunion, se dispose à franchir l’Atlantique pour porter l’offre de ses bras au sol des Antilles. Pourquoi et en vertu de quelle loi, l’en empêcher ? Les sujets de la compagnie des Indes sont-ils donc moins libres que les noirs de la côte de Krou, que l’Angleterre elle-même enrôle pour ses colonies ?… Que cette intelligente nation ne le perde pas de vue : le travail de la civilisation n’est qu’ébauché lorsque les notions qui en forment l’essence sont empiriquement importées par le peuple initiateur comme un ballot de marchandises. Pour que l’œuvre s’accomplisse dans toute sa grandeur, il