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Urbain répondit par un refus. Ce mot de Paris avait brillé devant ses yeux comme une flamme; l’idée de plaisir s’associait dans son esprit à l’idée de travail, et il connaissait la sévérité du père Noël en matière de leçons. Ce voyage d’ailleurs le mettait à la porte de l’Opéra; son rêve prenait un corps, sa destinée allait s’accomplir. Le refus de son élève attrista le vieil organiste, qui tenait à Urbain plus qu’il ne le faisait paraître. — Va donc, lui dit-il, et sois heureux ; mais, si quelque jour tu regrettes ma chambre, reviens : ton couvert sera bientôt mis.

Ce soir-là, le père Noël se promena longtemps sur les bords de la Loire. Il avait le visage si farouche avec ses sourcils froncés, que pas un de ses petits écoliers n’osa l’approcher. Il marchait les mains enfoncées dans les poches de sa redingote vert-bouteille. — Bah ! cela devait être, murmurait-il; tête de liège, cœur de pierre... Je l’aimais cependant!..

Il ne rentra qu’à minuit et ferma sa classe le lendemain. Urbain ne témoigna pas qu’il fût touché de l’offre du père Noël; sa jeunesse ne voyait que triomphes dans l’avenir. Comme un jeune cheval qui aspire l’air vif du matin, il aspirait avec une ivresse mal déguisée la pensée de la liberté. Avant qu’il dût quitter Blois, on organisa une souscription pour l’assurer contre les chances du tirage au sort; elle produisit au-delà de ce qu’il fallait : la garde-robe d’Urbain fut remise à neuf, et il partit avec une petite somme dans sa bourse. Le nom du père Noël était en tête de la liste, et c’était lui qui avait glissé un rouleau de pièces blanches dans la poche du fugitif.

Le premier séjour d’Urbain à Paris dura trois ans, après lesquels une maladie violente faillit couper court aux sacrifices que les bonnes âmes de Blois s’étaient imposés pour obéir aux vœux du pauvre mercier. Urbain vainquit la mort suspendue sur sa tête pendant un mois; mais la convalescence fut longue et pleine de périls. Les médecins conseillèrent l’air natal. Urbain retourna donc à Blois. Tout le monde lui fit bon accueil; le père Noël l’embrassa en pleurant. — Viens, lui dit-il, ta chambre est prête.

Cette chambre était en bon air et gaiement éclairée par le soleil. Urbain y respirait la vie à longs flots ; mais sa première vigueur et sa jeunesse avaient été comme épuisées par la maladie. La pâleur s’effaçait lentement de son front. Au bout d’un an, il n’était pas entièrement rétabli. Quelques mots surpris dans un moment de malaise et d’abattement avaient fait comprendre à l’organiste que des excès de tout genre étaient bien pour quelque chose dans ce résultat. En sa qualité de vieux cuirassier, le père Noël ne gronda pas, mais il ne put s’empêcher de s’écrier : — Que diable avais-tu besoin d’aller au Conservatoire !