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— Eh bien ! continua Madeleine d’une voix persuasive, donnez-le-moi, et je m’efforcerai de le rendre si heureux, que vous n’aurez plus la force d’en vouloir à personne, ni à vous, ni à lui.

— Soit ! répondit le père Noël.

Le lendemain de bonne heure, le vieillard se rendit chez Mme Béru et entama vigoureusement l’entretien. Dès les premiers mots, la veuve du capitaine d’artillerie poussa les hauts cris. Que le père Noël tînt à marier son élève, cela se comprenait ; mais qu’elle consentît à donner sa fille à un pauvre diable qui n’avait rien, c’était à quoi il ne fallait pas songer. Cette opposition et les termes dans lesquels elle s’exprima irritèrent le père Noël ; par un de ces retours de cœur inexplicables, il se sentit blessé dans son for intérieur de ce qu’on fit si peu de cas d’un jeune homme qu’il avait élevé. Il s’échauffa et plaida la cause d’Urbain avec plus d’entrain que Madeleine n’aurait pu l’espérer. À bout d’éloquence et d’argumens, le père Noël se dressa tout à coup : — Çà ! dit-il, si Urbain avait des rentes ?

— Quoi ! dit la mère Béru, qui devint pourpre comme au temps où elle dansait, le vieux mercier avait donc une sacoche quand il est mort ?

— Il ne s’agit pas du pauvre homme, mais d’un autre qui vous parle. On est organiste, c’est vrai, et on vit dans un grenier ; mais on a quelque part de bons gros sous qui ne doivent rien à personne, et on n’a pas d’héritier, madame Béru !

La question ainsi posée fut bientôt résolue ; on décida que le père Noël assurerait cinquante mille francs à Madeleine à l’insu des deux jeunes gens. Mme Béru serait chargée d’en servir la rente, et ce serait comme un cadeau qu’elle consentirait à faire sur son propre fonds. De plus, la mère de Madeleine devait toucher mille écus que le père Noël, pour avoir raison de ses derniers scrupules, avait promis de lui compter de la main à la main le jour de la signature du contrat. — Touchez là, voisin ; c’est fait, dit la veuve, Madeleine est à Urbain… Ils s’aiment tant, ces pauvres petits !

Le père Noël était un peu triste en quittant le jardin de la mère Béru. Il était comme chagrin d’avoir réussi. L’expression de ses traits étonna Madeleine. Elle pâlit en le voyant. — Elle ne veut donc pas ! s’écria-t-elle.

— Au contraire, mon enfant, dit le père Noël, la mère Béru consent à tout. — Le visage de Madeleine changea de couleur, — Ah ! dit-elle, je vous aimais bien déjà, père Noël ! que sera-ce à présent !

Le père Noël, toujours soucieux, la prit par le bras et fit avec elle un tour d’allée. — J’ai comme un poids sur la conscience, reprit-il, car enfin je réponds de toi, petite. Voyons ! Urbain ne sait rien encore ; il ne saura jamais rien, si tu veux ; pense bien à ce que tu vas faire.