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tiède ; on voyait la ville, échauffée par le printemps, se mirer dans l’eau claire. Madeleine pressa le bras d’Urbain, et lui indiqua du doigt les vitres de leur petite maison, qui étincelaient au feu du soleil couchant derrière les pêchers en fleurs. — N’est-on pas bien ici ? dit-elle. Ce repos n’est-il pas voisin du bonheur ?

La cloche de Saint-Louis tinta. — Si tu voulais, reprit-elle, tu serais organiste un jour dans l’église où l’on nous a mariés. Cela nous porterait bonheur ; notre vie s’écoulerait à l’ombre de ce clocher… Ce talent que tu as, et qui est un don de Dieu, en serait meilleur. Nous serions plus heureux que là-bas.

Urbain était attendri. Ces premiers bonheurs qui suivent l’union de deux êtres jeunes qui s’aiment avaient en quelque sorte amolli son cœur ; il regarda Madeleine et l’embrassa sur le front sans répondre. Madeleine se pressa contre lui. — Ce soir, nous dînons chez le père Noël, reprit-elle ; il dépendra de toi que je sois bien heureuse au dessert.

— Va ! tu le seras toujours ! dit Urbain.

Paul Vilon vint à passer et s’arrêta. — Eh ! eh ! dit-il, vous vous endormez dans les délices de Capoue ! Qu’avons-nous fait de cette belle ambition et de cette ardeur où je vous ai vu ?

Urbain rougit. — J’ai le temps ! dit-il.

— On voit bien que vous ne connaissez pas Paris, reprit l’autre. À Paris, ceux qui marchent n’arrivent pas, il faut courir. On vous porte intérêt, je le sais, et s’il vous plaît de passer sur le corps à vingt rivaux, je vous engage à ne pas perdre une minute !

Urbain regarda Madeleine de nouveau ; mais l’expression de ses yeux était changée. On y voyait comme une sorte de fièvre. Tous ses anciens instincts venaient de se réveiller à la fois. — Eh bien ! je partirai, dit-il.

Le journaliste lui tendit sa carte. — Quand vous serez à Paris, souvenez-vous de Paul Vilon et ne manquez pas de me venir voir. Je vous piloterai dans cette ville, où il y a autant d’écueils que de pavés, mais où les hommes de talent comme vous réussissent toujours.

Paul Vilon salua Urbain avec un regard qui s’adressait à Madeleine et s’éloigna. — Qu’en penses-tu ? dit Urbain.

— Je pense, dit Madeleine, que ce monsieur est bien prompt à l’éloge.

La figure d’Urbain se rembrunit. — Chacun a son opinion, mais je sais que la famille Béru est d’un autre avis.

Madeleine ne lui connaissait pas cette voix, et le regarda effrayée : elle venait à son insu de mettre le doigt sur la plaie. La promenade fut interrompue, et on retourna au logis sans échanger une parole. Urbain sortit dans la soirée, et ne rentra que fort tard. Il se coucha sans embrasser Madeleine, il dormit sans entendre qu’elle