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général lui avaient donné des lettres d’introduction. L’histoire qu’on y faisait de sa jeunesse intéressait tout le monde; les sympathies lui étaient acquises avant qu’il eût parlé; elles ne diminuaient pas, tant s’en faut, aussitôt qu’on l’avait vu. Seulement, par un indéfinissable sentiment où la vanité n’avait que trop de part, Urbain éprouva un certain froissement à la pensée qu’on connaissait l’abandon où il avait vécu. Il aurait voulu que tous ces détails fussent cachés. En creusant un peu plus avant dans son cœur, peut-être y aurait-on découvert cette pensée que son mérite actuel devait faire oublier ce passé, et qu’il était malséant de s’en souvenir quand lui n’y songeait plus. Le charme qu’il exerçait naturellement agit encore dans ces nouvelles circonstances, et il eut bientôt, dans un monde distingué, des appuis, des protecteurs, même des amis. Madeleine, introduite dans quelques maisons, y réussit par sa réserve et son air de simplicité. L’entrée dans la vie parisienne se faisait sous d’heureux auspices. Les lettres de Madeleine au père Noël témoignaient de son contentement.

Vers cette époque, Urbain fut malheureusement présenté chez une de ces étrangères qui arrivent du Nord chaque année et qui étudient la France aux Champs-Elysées et à l’Opéra. La comtesse Czerniski jouissait, dit-on, d’une de ces fortunes fabuleuses dont les contes de fée et la Russie gardent seuls le privilège. Son mari remplissait une mission politique en Italie. La comtesse l’attendait à Paris, où elle avait ouvert un salon. Grande dame, fort oisive, riche et ennuyée à l’avenant, elle trouva original de se faire la protectrice d’un artiste. Le monde désœuvré qui passe une saison à Paris accueille avec un empressement de convention tous ceux qu’une renommée déjà vieille ou naissante fait sortir de la foule. Présenté par la comtesse à ses connaissances, Urbain fut le bienvenu partout; on le vanta fort, et une sorte de conspiration se fit autour de lui pour le transporter d’un bond à ces hauteurs où l’on ne monte que par le double effort du temps et du génie. Il parut commode à Urbain de se laisser ainsi conduire au succès par le flot de la mode et de l’engouement. Il payait cette propagande par des improvisations ornées de dédicaces. Ce n’était déjà plus ce que Madeleine aurait voulu. Cette popularité de salon une fois acquise, Urbain sut l’exploiter avec un mélange singulier de finesse et de nonchalance; il entrevoyait la possibilité d’entrer au théâtre par la porte de la faveur; son talent ferait le reste. Il s’adonna donc entièrement aux réunions de la comtesse Czerniski, où il prit une place qui tenait le milieu entre celle de favori et celle de commensal. La comtesse n’attachait pas une importance extrême aux relations que le hasard et l’oisiveté lui avaient fait nouer avec Urbain. Les plus habiles n’auraient pu préciser la limite exacte où elles s’arrêtaient, et il lui im-