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Il repoussa Madeleine, et se promena par la chambre à grands pas. — Quelles intrigues! dit-il. Tuez-vous donc à travailler après cela! — Il frappa du pied et reprit avec une violence extrême : — Des gens pour qui j’ai cent fois joué du piano, cent fois chanté des romances! Que de pages d’album n’ai-je pas remplies? Je servais à tous leurs amusemens, et voilà comme ils me récompensent, voilà comme ils me soutiennent!

Tout compte fait, ce concert, qui devait rapporter, outre la gloire, cent louis de bénéfice, coûta deux mille francs au ménage de la rue des Martyrs. Urbain ferma son piano avec rage: puis, se frappant le front comme la tradition rapporte que le fit André Chénier : — Ah ! dit-il, si je ne me sentais pas quelque chose là, je ne finirais jamais Sardanapale !

Paul Vilon se présenta dans la soirée ; le premier mouvement de Madeleine fut de ne pas le recevoir. Le journaliste lui fit passer une carte sur laquelle il avait écrit ces mots au crayon : « J’ai à vous parler sérieusement. » Ce dernier mot était souligné. Madeleine donna l’ordre de l’introduire. Paul lui tendit la main à peine entré; Madeleine hésita à lui donner la sienne. — Oh! vous pouvez la prendre et la serrer franchement, dit-il, c’est celle d’un ami... J’ai fait une sottise, mais je n’ai pas trente ans et je vis dans un singulier monde : voilà mon excuse... Prouvez que vous valez mieux que moi en me pardonnant.

Madeleine ne savait pas résister à une bonne parole ; elle prit la main de Paul.

L’entretien fut court. — Me permettez-vous de vous dire toute ma pensée? continua Paul. Vous n’avez plus qu’une chose à faire : il faut ramener Urbain à Blois.

Madeleine leva les yeux sur lui. — Vous souvient-il de notre première rencontre?...

— Très bien, vous allez m’accuser de contradiction. Eh! mon Dieu, alors je ne vous connaissais pas, surtout je ne connaissais Urbain que pour l’avoir vu deux ou trois fois dans des salons où il buvait l’ambroisie... Je lui ai parlé le langage qu’il aimait, le seul qu’il voulût entendre : c’est la coutume... A présent que je vous connais telle que vous êtes, je m’en repens... Oh ! je vous ai vue l’autre soir derrière cette porte, quand vous pleuriez. J’ai bien compris que vous n’étiez pas pareille aux autres... Donc il faut un remède énergique!... Partez au plus tôt.

— L’expérience du concert vous paraît-elle décisive? dit Madeleine après un court silence.

— Non, le concert ne prouve rien. Combien ont réussi qui avaient moins de talent qu’Urbain! Mais Urbain est sur une pente fatale; des influences délétères agissent sur lui; il écoute les conseils de