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entre les officiers et les savans peu de jours après notre départ de Ténériffe. L’amiral comprit que le meilleur parti à prendre était d’autoriser le débarquement des plus mécontens. Un astronome, un naturaliste et un dessinateur restèrent à Table-Bay. Nous avions encore assez de savans pour observer et décrire tous les phénomènes de la nature dans les régions australes. Malheureusement ceux qui nous quittèrent n’emportèrent pas la discorde avec eux. La géographie et l’histoire naturelle furent bientôt aux prises. On accusa l’amiral de n’avoir de sympathies et de prévenances que pour les travaux hydrographiques. Où il n’y avait d’abord que deux camps bien tranchés, il s’en forma trois, puis quatre. Ce fut un pêle-mêle de prétentions à décourager l’homme le plus patient. L’amiral avait trop vécu pour se laisser surprendre par ce jeu, facile à prévoir, des passions humaines ; il sut être ferme sans violence, résigné sans abattement, et toujours inébranlable dans ce qu’il avait une fois jugé convenable et juste.

Ce fut dans ces fâcheuses dispositions d’esprit que nous entre prîmes une nouvelle traversée. En partant du Cap, nous ne devions plus toucher qu’à la terre de Van-Diémen, que nous avions l’ordre de contourner pour pénétrer au milieu des archipels de l’Océanie. Nous dirigeâmes notre route de manière à reconnaître en passant les îles Saint-Paul et Amsterdam, afin de rectifier notre position et de corriger, s’il y avait lieu, la marche de notre chronomètre, car nous avions à bord de chaque corvette une montre marine de Berthoud et plusieurs cercles à réflexion de Lenoir. Sous ce rapport, nous étions tout aussi avancés qu’on peut l’être aujourd’hui, et je ne sais même pas si l’on trouverait de nos jours sur beaucoup de bâtimens des observateurs aussi exacts que l’étaient les officiers de la Truite et de la Durance, et des chronomètres qui valussent ceux d’un artiste dont les œuvres n’ont pas été dépassées.

Nous étions partis de Table-Bay avec un très beau temps ; des vents favorables nous conduisirent jusqu’à l’ouverture du canal de Mozambique. À cette hauteur, nous trouvâmes des brises variables, et nous essuyâmes une violente bourrasque pendant laquelle le tonnerre tomba fréquemment à peu de distance des corvettes. Dans un coup de roulis, le moulin placé sur la dunette de la Durance brisa ses entraves, et, fracassant les bastingages, tomba avec un bruit affreux à la mer. La Truite eut, comme sa conserve, l’heureuse chance d’être débarrassée, pendant le même coup de vent, de ce château ailé qui volait sur les eaux.

La vue de l’île d’Amsterdam, que nous aperçûmes après quarante-trois jours de mer, ranima toute l’ardeur de mes compagnons de voyage. Personne ne mettait en doute que l’amiral ne saisît cette