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lorsqu’il voit les autres journaux d’accord, il prend le contre-pied de leur opinion, etc. » Ces reproches, qui se détruisent, nous semblent aussi peu fondés l’un que l’autre. L’accord ordinaire de la presse anglaise et de l’opinion publique est évident, et en-vérité ce serait exiger de la presse une preuve trop funeste d’indépendance que de vouloir que la presse et le public fussent en guerre ; mais, pour marquer à bon droit cet accord du nom de servitude, il faudrait établir que c’est le public qui traîne toujours la presse à sa suite, et il resterait à chercher qui met en mouvement le public. On pourrait bien découvrir quelque occasion où le public a fait violence à la presse, mais on en trouverait plus aisément beaucoup d’autres où la presse a devancé et emporté le public. Et pour accepter les comparaisons dont on abuse, nous dirons que la presse anglaise est quelquefois un écho et plus souvent une trompette qui mène au combat, qu’elle est, si l’on veut, un miroir, mais un miroir comme celui d’Archimède, qui rassemble des rayons épars, et qui les concentre pour en porter au loin la chaleur et la lumière.

Dans ce rapide examen de la presse anglaise, nous avons remarqué que ses caractères les plus importans s’accordaient avec les dispositions naturelles de son public, et qu’elle lui convenait d’autant mieux qu’elle était faite à son image. Il est aisé de reconnaître entre les caractères de la presse française et les habitudes de l’esprit français une analogie du même genre, et là encore, pour rendre raison de la presse, il ne faut pas un seul instant perdre de vue la nation.

Quoique la plupart de nos journaux n’échappent pas plus que le reste de la société aux influences industrielles, l’industrie n’occupe dans leurs colonnes qu’une place fort secondaire à côté de la politique. Et il faut qu’il en soit ainsi pour que la presse conserve quelque autorité sur un public qui aime les profits de l’industrie, mais qui n’en souffre pas volontiers l’influence, qui est à la fois très disposé à chercher sa fortune dans les spéculations industrielles ou financières et très malveillant envers ceux auxquels ces spéculations ont donné une grande fortune. De tout temps, le génie national a fait parmi nous une situation fort difficile aux grands financiers, aux manieurs d’argent, comme on les appelle. Tout le monde est leur complice quand ils commencent ; tout le monde est leur ennemi quand ils ont réussi. Ils ont eux-mêmes peine à comprendre un changement si subit, conséquence de leur subite prospérité. Ils se demandent comment, au milieu d’une société possédée de la fureur des affaires, ceux qui les font avec succès deviennent si aisément des objets d’aversion ou de mépris ? Rien de plus simple cependant, si l’on tient compte de deux sentimens très différens, mais également puissans dans notre pays : la passion de l’égalité et l’instinct chevaleresque.