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côté la création, ne s’occupant ni de la théogonie établie, ni de la rivalité des sectes, il s’inquiète de l’homme qui souffre sur cette terre et aspire sans cesse à un monde meilleur. Vaincre la douleur et dompter la mort, tels sont les deux grands problèmes dont la solution le préoccupe. La douleur, dira-t-il, est produite par les mauvais penchans, par les passions, par les vices qui troublent nos cœurs ; à force de veiller sur ses sens, on en détruira la cause. La mort est de sa nature un mal inévitable ; mais si vous l’appelez un mal, c’est que vous avez pris la vie au sérieux. Or, la vie et tout ce qui la compose n’étant qu’illusion et mirage, pourquoi s’y attacher ? Ne vaut-il pas mieux s’efforcer d’atteindre, dès ce monde, ce qui échappe au temps, s’associer, s’unir par une méditation intense à ce qui ne finira jamais ?

Ainsi simplifiée, cette philosophie ascétique en vaut bien une autre, d’autant plus qu’elle recommande la vertu comme une condition essentielle du bonheur et de l’absence de toute souffrance. Le stoïcisme niait que la douleur fût un mal : Çâkya-Mouni admet le contraire ; mais il espère éteindre la douleur par la vertu comme on éteindrait sous les flots d’une eau pure un feu dévorant. Au lieu de déifier le vice ou de l’excuser par l’exemple des dieux, il se tient en défiance contre la surprise des sens. Il glorifie la continence, la chasteté, les hautes vertus que le brahmanisme avait prônées, lui aussi, mais sans s’apercevoir qu’il les attaquait dans des légendes grossières, et surtout sans se mettre en peine de les pratiquer. Çâkya-Mouni pratique tout le premier la vie de perfection dont il formulera les préceptes. Il peut dire : « Imitez-moi, et vous serez délivré des naissances à venir ! »

Éviter les naissances à venir, tel est le dernier mot de la doctrine du réformateur. Enfermé dans le cercle des naissances multiples que le panthéisme indien traçait autour de lui, Çâkya-Mouni est allé se heurter contre ces dogmes désolans. À la différence des brahmanes, il a énoncé une morale simple, précise, obligatoire pour tous ; mais à force de faire taire son cœur et de comprimer son âme, à force de condamner son esprit à la recherche de l’absolu, il n’a plus ressenti en lui-même, ni reconnu hors de lui, dans les œuvres de la création, le souffle et l’action puissante d’un Dieu éternel. Par sa doctrine épurée, Çâkya voulait faire des hommes autant de saints ; seulement il oubliait que la sainteté a droit à des récompenses plus nobles que l’anéantissement final, moins négatives que l’extinction de toute douleur dans un sommeil léthargique. Aussi les brahmanes crièrent-ils à l’athéisme, non pas qu’ils eussent eux-mêmes la notion bien nette d’un dieu éternel, dégagé de la matière, mais parce qu’ils admettaient, officiellement du moins, les divinités immortelles et un paradis. Drs partisans plus ou moins avoués de la doc-