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du bouddhisme parmi les enfans de ceux qui le firent triompher jadis, et aujourd’hui même, si quelque Européen trop curieux interroge sur Çâkya et sa doctrine un savant pandite, celui-ci secouera la tête en répétant pour toute réponse : Nastika, nastika ! (athée, athée !)

La doctrine de Çâkya avait eu le sort de ces arbres plantés dans un terrain léger, qui poussent rapidement, étendent au loin leurs rameaux, et s’arrêtent tout à coup, parce que leur sève s’est épuisée. Pour expliquer jusqu’à un certain point le retour des Hindous au brahmanisme, on pourrait dire que le fond des populations n’acceptait le bouddhisme que comme un accessoire du culte établi, sans en bien comprendre toute la portée. Obéissant aux rois qui parlaient quelquefois en leur nom sans les consulter, les peuples n’hésitèrent point à vénérer jusqu’à l’adoration le réformateur dont ils faisaient un dieu de plus, sans refuser leur respect aux divinités anciennes. Entre les deux religions, il pouvait donc s’établir une certaine harmonie : les deux cultes n’étaient point si opposés qu’ils ne pussent vivre côte à côte sur le même sol ; mais tout le terrain que perdait le bouddhisme par l’attiédissement des fidèles, par l’affaiblissement de la doctrine subdivisée en tant de sectes, le brahmanisme s’étudiait à le regagner pied à pied. Il lutta longtemps ; enfin des événemens politiques firent pencher la balance de son côté. Les rois les plus puissans se trouvèrent appartenir, soit de longue date et par conviction, soit par l’intérêt du moment, à la croyance brahmanique. Dès lors les représentans du vieux culte, qui avaient dû se borner à combattre leurs adversaires par des paroles et des raisonnemens, les persécutèrent ouvertement. On vit les bouddhistes émigrer, se retirer du centre de l’Inde vers les provinces lointaines, où aucun danger ne les menaçait encore. Le brahmanisme triomphait de plus en plus. C’était comme une marée montante qui allait engloutir les sectateurs de Çâkya, comme un déluge dans lequel ils allaient périr submergés. Leur disparition fut bientôt complète. Ils donnèrent encore signe de vie dans quelques localités de la presqu’île indienne, demandant grâce auprès des râdjas pour leurs temples et leurs chapelles ; puis on n’entendit plus le bruit de leurs prières, murmurées le soir sous les grands arbres, et qui édifiaient jadis les pèlerins chinois. Les statues de Bouddha ne se montrèrent plus dans l’Inde, excepté dans l’île de Ceylan, dernier refuge de la religion proscrite.

Le bouddhisme était-il détruit dans les esprits ? Non, il y vivait sous une autre forme et sous un autre nom. Dans toutes les provinces de l’Inde on vit paraître un nombre considérable de sectaires qui prétendirent arriver à la perfection sans reconnaître l’autorité des brahmanes et l’utilité de leurs sacrifices. Ces hérétiques