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père m’a reparlé mariage, très légèrement, il est vrai, mais toutes ses paroles prennent de la gravité dans l’état où il se trouve. Je me suis tu. Adieu. Je veux que cette lettre parte, et elle ne partirait pas si j’entamais cette grande, cette triste question… Adieu.


8 septembre.

Je rentre de bonne heure, il n’est pas minuit. J’en profite pour t’écrire à la hâte le serrement de cœur et les instans d’angoisse que Louise n’a pu m’épargner. Il me semble que j’ignorais encore à quel point je l’aimais. L’amour est ainsi, Léon : à chaque pas qu’il fait, il s’aperçoit avec ravissement qu’il est immense. Malheur à celui qui découvre les bornes de son amour ! Il est bien près de ne plus aimer.

Je m’étais rendu au pavillon. Louise tardait. Sa tendresse ne m’a pas habitué à l’attendre. J’avais mis ma montre devant moi sur une petite table, je ne la quittais pas des yeux, je dévorais les minutes et les secondes. On frappe enfin, j’ouvre, et c’est la mère Morin qui se présente à moi. L’idée ne m’était pas venue un seul instant qu’il pût être arrivé quelque chose à Louise. J’attendais et je l’accusais. Je demeurai muet, tremblant, regardant Mme Morin, qui se jeta sans cérémonie dans un fauteuil et se plaignit de la course qu’elle avait faite. « Et Louise ? Louise ! m’écriai-je. — Ah ! elle est dans un joli état, ce pauvre agneau, repartit l’implacable femme ; mais c’est votre faute aussi. » Je poussai un cri qui l’effraya sans doute. « Rassurez-vous, poursuivit-elle, ce n’est rien, une misère, un peu de fièvre. Elle voulait se lever et courir jusqu’ici, de peur de vous inquiéter. C’est un ange ! Allons, venez, elle vous attend. Mais laissez-moi d’abord examiner tout ça. — Au nom du ciel, interrompis-je, ne perdons plus une minute. »

Je n’avais point permis jusqu’alors que notre paradis fût profané par sa présence. Je hâtai le pas et fis peu d’attention à tout son bavardage, en me rendant du pavillon chez elle. Louise était couchée, pâle, les yeux brillans, avec un air de mélancolie et de souffrance. En un instant, je fus à genoux au pied de son lit. Elle me jeta ses bras autour du cou et appuya sur mon front ses lèvres brûlantes. « Ah ! voilà ce que je craignais, s’écria Mme Morin. Je vous avais tant recommandé d’être sage ! D’abord, si vous ne vous asseyez pas bien tranquillement, je vous renvoie. Voulez-vous me la faire mourir ? » Je pris une chaise, et Louise m’apprit en quelques mots qu’elle n’avait pu se lever le matin, qu’elle avait eu la fièvre, mais qu’elle se sentait déjà mieux. Je parlai d’un médecin, elle prétendit que c’était inutile, et comme j’insistais, sa mère s’écria vivement, pour couper court à la discussion : « Ne nous embarrassez pas d’un médecin, je