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miration pour Louise n’était pas une complaisance de l’amitié ; redis-moi ton étonnement de découvrir en elle tant de qualités inattendues. Une lettre, quelques lignes, je te les demande en grâce pour me rappeler à moi-même et au juste sentiment des choses, car je ne vis plus depuis dix jours. Ah ! plutôt je vis, puisque je souffre. C’étaient le bonheur, le calme et sa tendresse qui étaient le rêve et l’illusion !

Mais il faut que je reprenne mon récit. Tu ne sais rien encore, c’est-à-dire que tu sais tout, le changement de Louise : qu’importe le reste ? Tu n’y verras qu’une suite de scènes bizarres et terribles où nous te paraîtrons les personnages fantastiques de quelque conte allemand.

Le lendemain, je me rendis au pavillon à l’heure ordinaire. Louise n’y était pas. J’attendis : personne. Je courus chez elle, et ne trouvai ni elle ni sa mère. Je revins au pavillon : elle y était, et me querella tout d’abord, parce que j’étais en retard. Je me jetai à ses genoux, je mouillai ses mains de mes larmes, et la suppliai en sanglotant de ne point prolonger mon supplice. Elle fut ébranlée, et me dit d’une voix émue : « Écoute, Francis, j’ai tout appris ; tu as le projet de me quitter. » Je pris le ciel à témoin que je n’y avais jamais songé, et qu’en vain ma raison le voudrait, que mon cœur n’y consentirait pas. Elle persista à ne pas me croire, elle s’efforçait de me persuader à moi-même que j’étais infidèle ; elle me demandait des preuves d’amour qu’il m’était impossible de lui donner, qui la perdraient de réputation, qui me forceraient à un éclat, à rompre avec ma famille, à frapper mon père et ma mère au cœur, par exemple de la conduire à mon bras le dimanche dans les endroits les plus fréquentés de la ville, ou bien de tout quitter, de partir le lendemain pour Paris, d’y séjourner un mois, et de nous rendre après en Italie ou en Suisse. Il faut savoir, comme toi, l’ardente passion qu’elle m’inspire pour comprendre qu’avec nos habitudes et dans la situation où nous nous trouvons vis-à-vis l’un de l’autre, elle ait pu seulement manifester de semblables exigences. Il est vrai qu’elle n’a pas plus tôt exprimé un de ces désirs absurdes qu’elle y renonce d’elle-même, mais c’est pour en concevoir un autre, et je ne fais que changer de tourment. J’emploie le raisonnement pour combattre les argumens de la folie. Quand je suis parvenu à lui démontrer clair comme le jour que je ne puis aimer qu’elle, elle en convient, et prétend qu’elle n’est pas jalouse. Elle s’humilie un instant ; elle tombe à mes pieds, elle me demande pardon de ses bizarreries. Je respire, mais un quart d’heure ne se passe pas sans que la querelle recommence. Et, je te le répète, cela dure depuis dix jours, et je cherche en vain le fil de ce laby-