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m’a sans peine amené à consentir au rapprochement. J’ai fait plus que d’y consentir, j’ai pardonné moi-même à la mère Morin, et c’est en revenant de chez elle que je t’écris, car le pavillon n’est plus à moi. Cédant à un nouveau caprice de sa belle dame, Charles B… me l’a repris.

Je suis triste et découragé. Dès que la passion nous force à faire quelque concession à notre dignité personnelle, notre conscience se hâte de nous en punir. Je n’aurais jamais dû revoir la mère de Louise. Louise elle-même en a été surprise sans se l’avouer et m’en estime moins peut-être. J’ai manqué d’énergie, je devais tenir bon ; mais l’homme est ainsi fait, il s’arrête volontiers aux demi-partis et tranche rarement dans le vif. Si une résolution prise n’engageait que notre avenir ;… malheureusement elle peut engager l’avenir de toute une famille. J’ai une mère aussi, moi, et combien je l’aime, combien je la vénère, surtout depuis que j’ai sous les yeux un si terrible objet de comparaison ! Au revoir. J’ai la tête en feu…


20 janvier.

Ah ! mon ami, viens, accours si tu es libre. Un affreux malheur nous a frappés. J’étais si loin de le prévoir, que je suis comme étourdi de ce coup de foudre, et que je cherche autour de moi un appui qui me manque. C’est toi. Viens. Mon père est mort…

Que nous nous connaissons peu, mon cher Léon ! Est-ce donc la douleur de le perdre qui devait m’apprendre à quel point je l’aimais ? Mon père est mort ! Ah ! viens, viens, je t’en conjure.


2 février.

Ta présence nous a été d’un immense secours à ma mère et à moi pour supporter ces premiers jours de douleur. Que je plains ceux qui n’ont pas un ami qui, après de pareilles pertes, essaie d’arrêter vos larmes, et, n’y pouvant réussir, pleure avec vous ! Ma mère est bien plus abattue et bien plus morne depuis ton départ. C’est elle qui m’a dit de ne point tarder à t’écrire pour te remercier d’être accouru quand je t’appelais. Elle ne te connaissait pas, mon cher Léon ; elle sait maintenant que tu es un frère pour moi.

Ma pauvre mère ! Elle m’est devenue plus chère aussi. Je mesure la place que mon père occupait dans sa vie au vide qui s’est fait autour d’elle. Elle l’a passionnément aimé. Les volontés de mon père étaient les siennes, ou plutôt elle s’était habituée à penser, à vouloir comme lui. Elle se trouve tout à coup livrée à elle-même ; elle se trouble, elle chancelle, elle cherche toujours le guide qui la dirigeait. Par momens elle semble vouloir remettre entre mes mains le pouvoir que mon père avait sur elle. Je suis à ses yeux le chef de