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faire l’aveu à la face de l’Europe. Que de différences pourtant entre la Genève de Calvin et le luthéranisme suédois de nos jours ! Calvin sévissait surtout contre les libertins, ne voulant pas que le protestantisme prit passer aux yeux du monde pour une école de relâchement et d’impiété. De là l’espèce de théocratie qu’il fit peser sur Genève, de là le bannissement de Bolsec, l’exécution de Gruet, de Michel Servet et de Valentin Gentilis. L’église suédoise au contraire sévit contre la foi vivante, et le mouvement religieux qui s’accomplit depuis quelques années au sein du protestantisme Scandinave prouve assez que les plates doctrines de l’orthodoxie officielle ne suffisent plus aux aspirations des âmes[1]. Sans parler de la petite communauté catholique de Stockholm, si intéressante par son isolement, si respectable par ses vertus, ce ne sont pas les impies que la loi suédoise atteint, ce sont les plus dignes enfans du protestantisme. Le chanoine d’Upsal ne paraît pas avoir une idée très nette de l’histoire et de la mission des églises protestantes ; il soupçonne pourtant d’une manière confuse l’incohérence et l’iniquité des doctrines qu’il professe, car il reconnaît qu’un jour viendra où le bannissement pour changement de religion devra disparaître de la loi. — Après lui vient M. Nils Tersmeden, qui se préoccupe surtout de l’unité religieuse de la Suède. La proposition royale, à ce qu’il assure, l’a jeté dans un étonnement dont il n’est pas encore remis. « Dieu du ciel ! s’est-il écrié le jour où il a lu le projet de loi, Dieu du ciel, les gens de la campagne vont dire : Notre seigneur et maître le roi Oscar abandonne son peuple et son église ! » La suite du discours est de cette force ; le grand argument de l’orateur, c’est l’unique, l’inévitable argument à l’aide duquel tous les adversaires de la loi viennent, chacun à son tour, agiter les passions, je veux dire l’invasion imminente des missionnaires romains. M. Tersmeden est persuadé que ces missionnaires sont déjà en Suède, qu’ils ont eu des pourparlers avec le roi Oscar, et qu’ils n’attendent que l’adoption de la nouvelle loi pour commencer leur œuvre. — M. Emmanuelson, membre de l’ordre du clergé, rejette la loi pour les mêmes motifs ; il déclare cependant qu’il verrait avec plaisir supprimer la peine du bannissement, non pas pour favoriser l’esprit de secte, mais pour écarter les reproches qu’une telle pénalité doit attirer à la société suédoise.

Le meilleur moyen de sauver l’honneur de la Suède, ce serait d’éclairer cette nation généreuse, trompée par des préjugés opiniâtres et des enseignemens fanatiques. Voici enfin un orateur qui comprend ainsi son rôle, c’est M. Cederschjoeld, de l’ordre de la noblesse. M. Cederschjoeld s’associe complètement à la libérale pensée du roi. On sait que, peu de temps avant l’ouverture de cette discussion, le roi Oscar, atteint d’une maladie grave, avait dû confier la direction du royaume à son fils aîné, le prince Charles, duc de Scanie. Il avait donc adressé une proposition de régence à la diète suédoise ainsi

  1. Voyez, dans la Revue du 1er avril 1857, l’Église et la Question religieuse en Suède.