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garderait bien d’exprimer cette crainte. Selon lui, c’est de Rome avant tout qu’il s’agit, c’est le pape et les jésuites qui menacent la Suède ! En criant au catholicisme dans ces contrées du Nord, on est bien sûr de rallumer des haines et de cacher aux esprits le véritable état de la question. Ces sectaires eux-mêmes, tout luthériens qu’ils sont de cœur et d’âme, M. Fahlcranz déclare qu’ils tendent au catholicisme. « C’est au catholicisme, s’écrie-t-il, qu’aboutissent chez nous ces mouvemens prétendus religieux ; ils y aboutissent non-seulement par leur tendance à dissoudre les liens de la concorde spirituelle et de l’ordre social, mais encore par une affinité particulière avec Rome, affinité de doctrines et de pratiques, révélée surtout dans ce pharisaïsme intérieur et ce publicanisme extérieur que les deux partis nomment religion. » Or les sectaires dont parle ici l’évêque de Westeras, ce sont ceux qu’on appelle en Suède lecteurs (laesare), et les informations très précises qui nous sont communiquées sur ce mouvement religieux ne nous permettent pas d’en méconnaître le caractère ; chrétiens fervens, les lecteurs obéissent manifestement à l’inspiration protestante, puisqu’ils réclament le droit de lire et d’expliquer les livres saints selon les besoins de leur âme. On dit qu’aujourd’hui, exaspérés par la compression, beaucoup d’entre eux ont cherché un refuge désespéré dans les folies du mysticisme. Rien de plus naturel que cette évolution, et M. Fahlcranz n’a pas le droit de les confondre avec les catholiques. Si ces lecteurs pouvaient élever la voix, s’ils avaient des assemblées, des communautés régulières, ce seraient eux qui protesteraient contre la.vieille organisation catholique, restée, on ne sait pourquoi, dans l’église luthérienne de Suède. Ce haut clergé investi d’un pouvoir absolu, cette hiérarchie inflexible, ces cérémonies qui ont un sens auguste dans l’église catholique et qui ne sont plus qu’un vain appareil dans les églises protestantes, ce sont là autant de vestiges du catholicisme. Bien des esprits commencent à s’en apercevoir ; on le dit tout bas, on le dira bientôt d’une voix plus forte, si la liberté religieuse est accordée aux Suédois. Voilà l’explication des colères cléricales à la diète de Stockholm. Le clergé suédois tient à l’organisation catholique de son pouvoir, et quand il se sent menacé, il redouble de fureur contre le catholicisme, afin de donner le change à l’opinion publique.

Ces évêques, ces doyens de chapitre, ces prieurs, ces chanoines, si rigides qu’ils paraissent dans leurs manifestes théocratiques, ce sont de brillans mondains, des épicuriens délicats, comme les prélats de l’Italie à la veille de la réforme. On sait le jugement que l’ambassadeur vénitien Marco Munio porte sur Léon X dans son rapport au doge : Il veut vivre, vol viver. Un écrivain déjà cité, un spirituel observateur qui connaît bien les mœurs des pays Scandinaves, M. Théodore Mügge, écrivait à peu près la même chose, il y a une quinzaine d’années, sur les prélats de l’église luthérienne de Suède. On voit, par son tableau de la Suède en 1843, que ces gardiens si rigoureux de la législation de Charles XI aiment fort le luxe et la bonne chère. L’espèce