et de Lapérouse. Le port de Tonga-Tabou, dans l’archipel des Amis, était un de ces jalons ; le havre de Balade, situé sur la côte orientale de la Nouvelle-Calédonie, en était un autre. Nous avions donc intérêt à prendre de ce dernier port notre point de départ avant de nous engager dans de nouvelles reconnaissances. De Tonga-Tabou à Balade, nous avions quatre cents lieues à parcourir ; mais Balade se trouvant à l’ouest de Tonga-Tabou, les vents alisés nous assuraient vers ce point une prompte traversée.
Les premières terres que nous aperçûmes, distantes de quatre-vingts lieues environ de la Nouvelle-Calédonie, appartenaient à l’archipel auquel Quiros avait donné le nom de terre du Saint-Esprit et Cook celui de Nouvelles-Hébrides. Nous avions franchi le canal qui sépare, à l’extrémité de ce groupe important, l’île Tanna de l’île d’Annatom, et nous approchions avec précaution des côtes de la Nouvelle-Calédonie, faisant peu de voiles pendant la nuit, nous arrêtant dès que le ciel commençait à s’obscurcir, et toujours prêts à changer de route, si quelque danger soudain venait à se présenter sur notre passage. Cette conduite prudente nous épargna un naufrage. Quelques heures avant le jour, nos corvettes se trouvèrent entourées d’une multitude d’oiseaux de mer dont les cris attirèrent l’attention de l’officier de quart. Les oies du Capitole ne s’envolèrent pas plus à propos. L’officier de quart se hâta de mettre en panne, et les premières lueurs de l’aube nous montrèrent à peu de distance une chaîne de récifs, sur laquelle nous eussions infailliblement couru nous briser, si nous avions poursuivi quelques instans de plus notre route. La vigilance est la première qualité du marin ; la seconde est la présence d’esprit, car la navigation ne connaît guère que des dangers imminens.
Cette rencontre inattendue fut la seule que nous fîmes jusqu’au moment où nous jetâmes l’ancre dans le havre de Balade ; mais combien de sillons il a fallu tracer sur la surface de l’Océan-Pacifique avant que ces périls inopinés cessassent d’être des incidens habituels ! Là où les roches végètent et poussent insensiblement leurs rameaux jusqu’à la surface, il n’est pas de sentier qui soit sûr, pas de route si fréquentée qui ne soit semée d’embûches. Faut-il donc s’étonner que les mers de l’Océanie aient vu se succéder tant de naufrages ? La seule chose qui devrait surprendre au contraire, c’est qu’un si grand nombre de navires, échappant aux dangers d’une semblable navigation, regagnât chaque année le port.
Le cœur encore rempli des riantes visions de Tonga-Tabou, nous ne remarquâmes pas sans tristesse l’aspect âpre et stérile des montagnes qui dominent le havre de Balade. Un ciel voilé, des eaux sombres, une plage dépouillée, ajoutaient à la mélancolie de ce paysage. Les naturels, accourus à bord de nos corvettes dans des pirogues