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qui nous eût permis de pénétrer entre cette barrière et la terre. Quelques jours de relâche eussent été pour nos équipages fatigués d’un bien grand prix. Malheureusement la brise était la plupart du temps trop fraîche pour nous permettre de faire reconnaître la côte par nos canots. Nous vîmes fuir l’un après l’autre derrière nous tous ces sommets couverts d’une opulente verdure, tous ces îlots ombragés de cocotiers dont le joyeux aspect insultait à notre détresse ; c’était la branche chargée de fruits qui se redresse dès qu’on y porte la main, la coupe qui se vide aussitôt qu’on l’approche de ses lèvres.

En voyant passer nos corvettes, les naturels lançaient leurs pirogues à la mer. Pour les attendre, nous mettions le plus souvent en panne ; mais, s’il nous arrivait de continuer notre route, ces légers esquifs, tenus en équilibre par leur balancier et emportés par leur grande voile de natte, nous avaient bientôt atteints ou dépassés. Nous ne pûmes jamais obtenir des sauvages qu’ils vinssent le long du bord. Ils se tenaient derrière les corvettes, prêts à fuir au moindre semblant d’agression. On plaçait sur une planche, qu’à l’aide d’une ligne de sonde on filait jusqu’à eux, les objets qu’on croyait de nature à les séduire ; la même planche rapportait à bord les cocos ou les armes que les sauvages nous offraient en échange. Ce mode de trafic pouvait donner lieu sans doute à quelque fraude, mais nous dûmes nous en contenter, puisque les insulaires, avec la méfiance si naturelle aux faibles, ne voulaient pas en accepter d’autre.

Après avoir dépassé l’île du Rour et l’île Matty, nous avions devant nous la mer libre pendant près de cent cinquante lieues jusqu’à l’entrée de l’immense baie du Geelwink, sur la côte de la Nouvelle-Guinée. Nous allions suivre la route que tracèrent à travers ces parages inconnus Lemaire et Schouten, lorsqu’après avoir découvert le détroit qui sépare l’île des États de la Terre-de-Feu, ils doublèrent pour la première fois lé cap Horn, et arrivèrent par l’Océan-Pacifique aux Moluques. Nous laissâmes dans le sud la grande île Mysory, qui occupe à peu près le milieu de cette vaste ouverture au fond de laquelle on ignorait alors si l’on trouverait un détroit ou un golfe, les deux îles de la Providence, le cap Goede-Hoop, les petites îles Mispalu, et atteignîmes ainsi, souvent contrariés par des brises faibles et variables, l’extrémité occidentale de la Nouvelle-Guinée.

Le premier devoir, lorsqu’on entreprend un voyage de découverte, est de fuir constamment les sentiers battus, de rechercher les écueils avec le même soin que d’autres les évitent : nous remplissions cette obligation avec une conscience que la torpeur et la gaucherie presque incroyables de nos bâtimens rendaient d’autant plus méritoire. Au moment de pénétrer dans une mer que les navires portugais et