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écrite avec le pinceau rouge : « Qu’il soit fait suivant ta demande ! » et cet édit était bientôt proclamé dans tout l’empire. Les faits ont-ils répondu à cette démonstration de tolérance ? Qu’on parcoure simplement les journaux de Hong-kong et de Shang-haï, et l’on verra que pas une année ne s’est écoulée sans que quelque chrétien n’ait scellé de son sang, ou des douleurs de ces prisons si terribles que le peuple appelle des enfers, sa croyance et sa foi religieuse depuis le jour où le représentant de la France croyait avoir conquis la liberté de conscience pour les chrétiens de l’empire jusqu’à celui où le père Chappedelaine et la sœur Agnès mouraient sous la main des bourreaux. Ce désaccord entre le langage officiel du gouvernement impérial et la conduite de ses fonctionnaires indique une ligne de conduite bien arrêtée dans les conseils du souverain de la Chine. Aujourd’hui même le gouvernement chinois ne prend plus la peine de déguiser sa politique sous des manifestes empreints d’une modération apparente. Un document publié par le jeune empereur Yen-foung, peu de temps après son avènement, emprunte à sa date même une haute signification, et révèle clairement quelles sont les vues politiques du parti hostile aux étrangers, maître dès cette époque de l’influence suprême dans les conseils impériaux.


« Le premier devoir du souverain du grand empire est sans nul doute d’employer les bons et d’éloigner les méchans ; mais jusqu’à ce que les méchans aient été chassés de leurs postes, l’administration ne peut être confiée exclusivement aux bons. Aujourd’hui la ruine causée à l’empire par une coupable nonchalance est arrivée à son point extrême, et c’est sur nous que retombe le blâme de la faiblesse du gouvernement, de la démoralisation chaque jour croissante de la nation ; mais n’est-ce pas le devoir de deux ou trois grands officiers de proposer ce qui est à faire, et de nous assister quand nous avons besoin de secours ?

« Muhchangah, comme principal ministre du cabinet, a été pendant plusieurs règnes reconnu comme très propre à cet office ; mais il n’a pas fait une étude suffisante des difficultés qui l’attendaient dans cette position ; il n’y a pas donné l’attention qu’elles méritaient, il n’a pas senti la nécessité de s’identifier avec la vertu et les bonnes intentions de son souverain. Loin de là, tout en conservant sa position, tout en ambitionnant le crédit qu’il en retirait, il a tenu en arrière, au détriment de l’état, les hommes qui méritaient d’être employés. Déloyal et sans foi, pervertissant sa science et ses talens, cachant ses projets et ses pensées, il ne faisait qu’approuver et prévenir par ses suggestions les projets de son seigneur. La dégradation qu’il a fait tomber sur ceux qui pensaient autrement que lui à propos des barbares est un sujet de profonde indignation. Ainsi l’extrême loyauté, la noble énergie de Ta-hungah et de Yangung[1] contrariaient ses projets ; il dut par conséquent essayer leur ruine, mais en revanche il faisait tout ce qu’il pouvait

  1. Ta-hungah est ce mandarin qui fit à Formose massacrer sans pitié deux cents naufragés anglais des deux navires Nerbudda et Ann.