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pour favoriser Ki-yng, parce qu’en lui il trouvait un homme sans pudeur, perdu pour la vertu, et par suite un aide et un complice. Combien de ses actions montrent que son but était de s’approprier une partie du pouvoir qui ne pouvait lui appartenir ! Sa majesté le dernier empereur notre père était lui-même trop droit pour agir autrement qu’avec bienveillance, et cette bienveillance a permis à Muhchangah de poursuivre sans crainte ses projets coupables. Si la lumière de la sainte intelligence était venue éclairer la raison de l’empereur notre père, il eût été puni sévèrement : certes nulle pitié ne lui eût été accordée ; mais, n’ayant pas été démasqué, il s’est appuyé sur la faveur qui lui était accordée pour se livrer aux plus grands excès, et a continué jusqu’à ce jour sans se corriger. Au commencement de notre règne, dans la première lune de cette année, toutes les fois qu’il était consulté, ou il donnait son avis d’une manière évasive, ou il demeurait silencieux ; mais quelques mois après il commença à laisser voir ses artifices. Ainsi, même lorsque le navire des barbares Anglais arriva à Tin-tsin, il s’appuyait sur Ki-yng pour faire prévaloir ses idées, et il eût ainsi exposé les fils aux cheveux noirs de cet empire à une répétition d’anciennes calamités. Lorsque Twan-shi-ngan recommandait Lin-tsch-suh[1] pour être employé, il nous répétait sans cesse que la faiblesse et les infirmités de Lin l’en rendaient incapable, et lorsque nous l’envoyâmes dans le Kwang-si pour exterminer les bandits de cette province, Muhchangah mit à diverses reprises en doute qu’il fût capable de s’y rendre[2]. Il a égaré nos regards par le mensonge en nous empêchant de connaître ce qui se passait au dehors, et là en vérité est sa faute.

« Les tendances antipatriotiques de Ki-yng, sa lâcheté, son incapacité ne sont pas moins faites pour surprendre. Lorsqu’il était à Canton, il n’a su qu’opprimer le peuple pour satisfaire les barbares, sans regarder jamais à l’intérêt de l’état. D’un côté il outrageait le divin principe de la justice, de l’autre les sentimens naturels à l’homme, et sa conduite n’a fait qu’occasionner des hostilités auxquelles on ne pouvait s’attendre. Sa majesté le dernier empereur, complètement informé de sa duplicité, lui ordonna de retourner en toute hâte à la capitale, et quoiqu’il ne l’ait pas dégradé immédiatement, il l’eût fait certainement plus tard. Souvent, dans le cours de cette année, lorsque nous l’appelions en notre présence, Ki-yng a parlé des barbares Anglais, en établissant combien ils étaient à craindre et quelle était la nécessité de nous les concilier si quelque difficulté s’élevait entre eux et nous. Il espérait nous tromper, mais plus il s’efforçait de conserver sa place et ses émolumens, plus il parlait, plus évident apparaissait son manque de tout principe. Son discours était comme les aboiemens d’un chien ; il était moins encore, un objet de pitié.

« La conduite de Muhchangah était cachée et difficile à découvrir, celle de Ki-yng était évidente et facile à discerner, mais le crime de tous deux en ce qui concerne le tort fait à l’état est le même. À moins que la loi ne soit exécutée, qui est-ce qui maintiendra le respect du devoir dans le cœur des hommes ? et nous-mêmes, ne serions-nous pas indignes de la charge importante que nous a confiée sa majesté le dernier empereur ? Cependant, nous souvenant que Muhchangah est l’ancien ministre de trois règnes, nous ne

  1. Le commissaire impérial du Kwang-tong en 1840.
  2. Lin-tsch-suh est mort en effet avant d’arriver dans le Kwang-si.