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plus nombreuses peut-être que celles qui marquent l’histoire de tous les autres peuples : la plupart de ces révolutions entraînaient la misère et la désolation pour les provinces de l’empire ; aujourd’hui cependant une crise plus grave encore s’est déclarée. « L’empereur a perdu la commission divine, le ciel l’a départie à notre dynastie, » telle est la formule, habilement empruntée au texte des Kings (livres sacrés), qui servait de devise aux anciennes insurrections, et que des passages tirés des plus illustres philosophes chinois venaient appuyer. « Quand le prince, dit Mencius, est coupable de grandes erreurs, le ministre doit les lui reprocher, s’il s’en rend encore coupable. S’il ne veut pas écouter les conseils de la raison, il doit le détrôner et nommer un autre à sa place. » Il était réservé à notre époque (et c’est là le symptôme de décadence ou plutôt de régénération que nous avons à signaler) de voir une révolution s’accomplir chez un tel peuple au nom de principes nouveaux, qui s’écartent complètement des principes constitutifs de la civilisation chinoise.

Sept années se sont passées depuis le jour où la dynastie Taï-ping est entrée en lutte avec la dynastie tartare, et l’on n’ose encore asseoir un jugement définitif sur l’homme qui l’a fondée. Chrétien convaincu, tel que peut l’être un homme qui n’a eu pour tout enseignement que la Bible et vivant au milieu d’une société païenne, imposteur cherchant un appui dans de prétendues révélations divines, politique profond ou simple instrument d’hommes ambitieux, le Taï-ping-wang est encore pour l’Europe, pour le monde entier, un mythe inexpliqué. Cependant, si toutes les conjectures, toutes les opinions sont permises sur l’homme, les tendances nouvelles qui dominent l’esprit des populations chinoises sont désormais trop visibles. Hung-tsew-tsuen peut être un imposteur, mais les principes auxquels il a dû une armée, les lois auxquelles se sont soumis ces milliers de soldats qui, partis du Kwang-si, ont marché de victoire en victoire jusqu’à quelques lieues de la capitale du nord de l’empire, et ont constitué la domination du chef rebelle depuis plus de cinq ans sur les provinces centrales de la Chine, — ces lois, ces principes s’écartent profondément des Kings et découlent de la Bible. Les visites de l’Hermès, du Cassini, du Susquehannah à Nankin, les livres qu’on a rapportés de ces expéditions, et qui contiennent le fond réel de la nouvelle doctrine, ne permettent plus aucun doute à cet égard[1].

Quel travail mystérieux s’est donc accompli dans ces esprits livrés au matérialisme le plus absolu, dans ces populations que tant d’écrivains

  1. Parmi ces livres, il faut noter surtout l’ouvrage si remarquable de M. T. Meadows, The Chinese and their Rebellions, ainsi que le travail du docteur Hamsberg.