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de l’intérieur, pour faire, sur les pentes des montagnes dénudées par la fonte des neiges, dans les ruisseaux torrentiels libres enfin de leurs glaces, une facile moisson de pépites et de paillettes d’or. L’aventurier européen fut bien accueilli par les Tartares ; plein d’espoir, il s’associa à leurs travaux, et ne tarda pas à se familiariser avec leur langue, leurs mœurs et leurs habitudes. A’ l’approche de l’automne cependant, les Tartares se disposèrent à reprendre le chemin de leurs vallées natales. L’étranger réclama sa part de bénéfice, ses réclamations furent reçues avec dédain ; il les renouvela, le chef de la troupe le fit lier et se mit en marche vers son pays, remmenant prisonnier à sa suite. Dans ces pénibles circonstances, le voyageur ne perdit pas courage. Dans une ville située, d’après ses calculs, à trente lieues dans l’intérieur, le hasard lui donna un compagnon : c’était un matelot de la frégate anglaise Nankin, que tous nous croyions mort, et qui, lui aussi, avait déserté son navire. Réunis, ils tentèrent de fuir ; ils furent promptement repris, mais le bruit de leur évasion parvint aux oreilles du gouverneur : ils furent conduits devant ce magistrat et eurent plusieurs longs interrogatoires à subir, où ils établirent avec force leur nationalité respective, et après lesquels il fut décidé qu’ils seraient conduits à Pékin sous une escorte officielle. Quatorze mois après leur désertion, les deux aventuriers arrivaient de la capitale chinoise à Shang-haï, où ils étaient remis à leurs consuls, ayant ainsi traversé des pays qu’ont seuls visités quelques courageux missionnaires. Accompli dans de pareilles circonstances, ce voyage ne peut donner sans doute aucun résultat scientifique, mais il a laissé dans l’esprit des deux marins quelques traces qu’il est bon de recueillir. Le pays qu’ils ont traversé leur a offert le spectacle d’une assez grande animation commerciale. Les excursions entreprises par les Tartares à la recherche des terrains aurifères révèlent une race entreprenante et avide, dont le concours peut être facilement obtenu et utilisé par un gouvernement habile. Or l’administration russe, dans ces lointains pays, montre une habileté incontestable.

Nous n’ayons jusqu’ici considéré les résultats de l’occupation de la Mandchourie qu’au point de vue commercial, mais il y a là une question politique dont il faut aussi tenir compte. Ce que la Crimée et Sébastopol étaient pour Constantinople et le midi de l’Europe, les établissemens russes de la Mandchourie vont, sous l’action puissante de l’administration impériale le devenir pour la Corée, pour le Japon, pour la Chine. Les officiers qui ont défendu pendant trois ans Nicolaïef, la baie de Castries, et n’ont abandonné qu’à la dernière heure l’établissement de la baie du Tsar Nicolas, n’ont pas tous quitté les lieux où se sont déployées leur persévérance et leur énergie. Militaires, et militaires distingués au moment de la lutte,