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la lice où elle s’est si fièrement avancée, ne serait-ce pas pour l’Angleterre abdiquer le rang qu’elle occupe dans le monde, qu’elle a conquis au prix de tant de persévérans efforts, où elle ne peut se maintenir qu’en se montrant, par sa confiance, supérieure à la position difficile que lui font des circonstances imprévues ? D’ailleurs, quelle que soit la voie qu’elle suive, l’avenir ne peut être douteux ; la tâche qu’elle rejetterait comme supérieure à ses forces sera, sans nul doute, entreprise et achevée par quelque autre peuple héritier de son rôle glorieux. La lutte commencée à Canton n’est pas en effet une querelle particulière à deux peuples ; les intérêts qui sont en jeu ne sont point des intérêts purement matériels : c’est la lutte de deux civilisations rivales, la lutte de la vérité contre l’erreur, de l’Europe éclairée, régénérée par les lumières de l’Évangile, contre les sociétés barbares de l’extrême Asie.

Le théâtre de la lutte s’agrandissant ainsi, il convient de ne plus arrêter ses regards seulement sur l’empire chinois, mais sur quelques-uns des pays qui l’avoisinent, et qui semblent, eux aussi, destinés à devenir les foyers de révolutions dont nul pouvoir humain ne saurait arrêter l’essor.

Trois royaumes accessibles aux Européens, dans des conditions différentes et à divers degrés, subissent cette influence du Céleste-Empire : le royaume annamite et ses annexes au sud-ouest, la Corée au sud-est, enfin le Japon, malgré les différences profondes qui existent entre l’empire des siogouns et les deux autres pays.

Les relations politiques de la Cochinchine avec l’Europe, avec la France surtout, remontent à une période déjà reculée. En 1787, un traité signé à Versailles entre les représentans du souverain annamite et ceux du roi de France concédait à celui-ci la possession en toute propriété de la baie de Touranne. C’était l’époque où, après les luttes sanglantes de la Cochinchine et du Tonkin, l’évêque d’Adran sauvait le fils du roi Gia-long, et le conduisait en France à travers les plus grands périls. L’influence de l’évêque, l’élan qui animait alors la marine française et qui poussa en Cochinchine de nombreux officiers, comme autrefois à Siam les Forbin et les Saint-Chaumont, promettaient à notre patrie un rôle digne d’elle sur ces lointains rivages. La révolution de 1789 fit avorter et les projets du roi Louis XVI et les espérances des missionnaires. Les souvenirs des services rendus par le pieux évêque furent bientôt effacés. À ces années trop rapides de tolérance religieuse, de liberté commerciale, succéda bientôt une période de persécution contre les chrétiens, de haine contre les idées européennes, qui s’est prolongée jusqu’à nos jours. De loin en loin, comme pour revendiquer ses droits de fille aînée de l’église, son titre de protectrice des missions catholiques, la France est intervenue entre les bourreaux et les victimes ; mais les actes de