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gitimes qui sont la force de la science et des traditions littéraires, ils menaceront les académies. Ils se feront les surveillans des fonctionnaires qui n’attendent pas leur mot d’ordre et qui écrivent où bon leur semble, ils leur rappelleront même qu’ils sont inscrits au budget et qu’ils sont perpétuellement révocables. La modération surtout et l’indépendance leur causent d’indicibles malaises. Ce zèle, en vérité, a par momens des recrudescences toutes particulières. Il s’est institué un tout petit comité de surveillance publique qui sans mission spéciale dresse périodiquement sa liste de suspects dont le pouvoir, ainsi qu’on peut l’attendre de son intelligence, se hâte de ne point faire usage. Cette Revue n’est point épargnée dans cette guerre, on le conçoit ; il y a longtemps qu’elle a le privilège d’exciter de telles humeurs ; Elle est seulement affligée de tant de pauvreté d’invention de la part de ceux qui ne trouvent rien de mieux à répéter sans cesse que de la représenter comme un foyer d’hostilités indirectes et d’opposition systématique. Que veut-on dire en parlant ainsi ? Lorsque des fonctionnaires éminens répandent les lumières de leur esprit sur les plus hautes questions économiques, est-ce la marque d’une hostilité préméditée ? Lorsque d’autres hommes occupant des positions dans l’état tracent des tableaux d’histoire, écrivent sur la littérature ou sur les arts, y a-t-il quelque pensée ennemie ? Lorsque durant la dernière guerre nous avons soutenu, dans la mesure de nos forces, une politique qui nous semblait la seule digne du pays, était-ce opposition systématique ? Est-ce encore faire de l’opposition que de réfuter des théories dangereuses, de remettre sans cesse en honneur les principes qui font la dignité de la vie publique, d’être juste même pour le passé ?

Ce qu’on veut dire peut-être, et en cela on n’aurait vraiment pas tort, c’est que les rédacteurs de cette Revue n’obéissent qu’à leur propre inspiration. Ils ont vu assez de choses, et quelques-uns même sans avoir beaucoup vécu, pour accepter le bien, de quelque main qu’il leur vienne. Ils ont des principes avant d’avoir des préférences personnelles, et à leurs yeux le meilleur gouvernement est celui qui s’inspire de ces principes, qui travaille à la grandeur du pays au dehors, qui lui donne dans la vie intérieure les garanties qui font sa sécurité aussi bien que la sécurité des pouvoirs publics. Ils aiment la liberté, ils croient en elle : est-ce donc que la liberté est un nom proscrit ? Ils croient à son efficacité et à son retour sur la foi de la parole de l’empereur lui-même, et en attendant ils observent les lois, ce que ne font pas toujours ceux qui les accusent dans le moment où ils rédigent leurs réquisitoires. Ils ne cherchent nullement à cacher les choses utiles là où elles apparaissent. Par-dessus tout, ils tiennent comme au premier des biens à l’indépendance de l’esprit, et là est le lien de tant d’écrivains qui, sans abdiquer leurs opinions, se rencontrent sur un même terrain. Qu’y a-t-il en cela d’incompatible avec le gouvernement ? Où sont les combinaisons mystérieuses et les oppositions systématiques ? Il resterait à savoir si c’est une grande habileté de vouloir persuader aux pouvoirs publics qu’ils ont un ennemi partout où il y a un homme debout, dans les académies, dans les chaires de Sorbonne aussi bien que dans les plus sérieuses publications. La vérité est plutôt que le nom du gouvernement n’est le plus souvent invoqué que pour couvrir des intérêts et des rivalités fort subalternes, qui veulent à