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conciliant. L’enquête va donc se faire. Il ne faut pas croire pourtant qu’elle soit sans difficulté : elle peut être périlleuse ou impuissante. Lorsqu’en Angleterre des enquêtes sont ordonnées sur une question administrative, sur les affaires de l’Inde, sur la situation d’une industrie ou d’un district manufacturier, il y a là une base certaine et précise d’investigation, et encore même dans ces conditions les enquêtes parlementaires ont quelquefois leurs embarras, comme on l’a vu à l’époque de la guerre de Crimée. S’il s’agit, en l’absence de données précises, de faire en quelque sorte une révision des votes, d’évaluer la participation d’une certaine classe, de certains hommes, à un mouvement électoral, les élémens d’une enquête deviennent extrêmement vagues. Comment peut-on procéder ? Si le clergé a commis des illégalités, des délits qualifiés, il est coupable sans doute ; mais en ce cas il relève de la justice, gardienne des lois, non du parlement. S’il n’a fait qu’exercer son influence, quel moyen aura le parlement de constater la mesure dans laquelle cette influence a été légitime ou illégitime ? Pourra-t-il faire la distinction entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas ? Ira-t-il s’interposer entre un prêtre et la conscience qu’il dirige ? Là est le danger ; il résulte du vague même d’une telle résolution, de sorte qu’une enquête de ce genre, inoffensive en apparence, peut aboutir à une impossibilité ou à une intervention qui dépasserait toute mesure.

L’essentiel est de ne point faire de cette enquête une arme de parti, et M. de Cavour s’est proposé justement de lui enlever ce caractère dans un discours des plus modérés. En se prononçant pour cette mesure, le président du conseil semble avoir voulu donner une satisfaction aux méfiances qui se sont élevées, sans se faire trop d’illusions sur le résultat, et surtout sans mettre en doute le droit du clergé ; il n’a tourné sa sévérité que contre les abus de pouvoir. Au fond, cette discussion ne change pas la situation du Piémont, qui reste ce qu’elle était ; elle ne fait qu’indiquer les forces probables des partis. Quant à M. de Cavour, autant qu’on en peut juger par ses premiers discours, il semble fermement décidé à ne se point départir de la politique qu’il a suivie jusqu’ici. Seulement le chef du cabinet de Turin est trop homme d’état et trop homme d’esprit pour ne point voir que, dans les dernières élections, tout ne peut être attribué à des menées du clergé. Il y a l’expression d’un instinct conservateur dont il ne peut que tenir compte, et qui n’est nullement incompatible d’ailleurs avec un système libéral. Combiner ces nécessités diverses, c’est là l’œuvre de M. de Cavour, et on ne peut croire qu’il rencontre des obstacles sérieux dans une portion notable de la droite. Que ce parti ait ses exagérés, cela n’est point douteux ; mais il y a aussi des hommes sincèrement constitutionnels, qui se sont montrés toujours dévoués à un régime sagement libéral, et de ce nombre sont MM. Menabrea, Arnulfi, Genina, le comte de Revel, qui sera sans doute élu dans un des collèges aujourd’hui vacans. Entre ces hommes et M. de Cavour, la distance n’est point aussi grande qu’on peut le croire. C’est dans ces opinions modérées, prudentes, en même temps que libérales qu’est la vraie force du Piémont.

L’Espagne n’est point dans d’autres conditions morales et politiques. Malheureusement il y a dans ses affaires une singulière apparence de trouble.