ne me trompaient pas. À peine le Dortwicht avait-il été hors de la rade de Batavia que ma dyssenterie avait cessé comme par enchantement. Peu à peu je revins à la vie, et en moins d’un mois j’avais recouvré mes forces et la santé. Le régime du bord avait-il autant que le changement d’air contribué à ce résultat ? Ma prompte guérison ayant paru à tous un véritable phénomène, je ne dois rien omettre des circonstances qui ont pu l’amener. Voici donc comment nous vivions à bord du Dortwicht. Le déjeuner ne se composait que de froment cuit à l’eau. Une forte dose de gros sirop faisait de ce froment une bouillie compacte dans laquelle la cuiller se tenait plantée comme un mât. Le dîner était plus varié, sinon plus substantiel ; il comprenait d’ordinaire une ou deux volailles, du bœuf salé avec de la choucroute, quelquefois du porc frais. L’usage du pain était inconnu sur le Dortwicht, le biscuit était détestable ; le riz tenait lieu de l’un et de l’autre. Nous avions pour boisson le plus ordinairement de la bière, rarement du vin, quelquefois du rhum ou de l’eau-de-vie de riz. Tel était le régime sous l’empire duquel je suis bien certainement revenu des portes du tombeau ; je ne conseillerais cependant pas à tous les malades atteints de la dyssenterie d’en essayer.
Si ma santé s’était miraculeusement fortifiée depuis notre départ, il n’en était pas de même de celle de mes compagnons de voyage. L’un fut atteint d’une fièvre putride et maligne ; le commis aux vivres et le chef de timonerie furent attaqués de la dyssenterie. Ainsi, des quatre Français qui se trouvaient à bord du Dortwicht, j’étais devenu, par un caprice du sort, le seul valide. Par surcroît de malheur, le médecin du bâtiment mourut ; dix-sept marins hollandais succombèrent également. Au milieu de cette épidémie, dont il m’a semblé reconnaître plus tard les symptômes dans la fièvre jaune, tous mes soins ne réussirent pas à sauver mon pauvre camarade l’enseigne de vaisseau, qui avait à peine vingt-trois ans. C’était un homme charmant, joignant à beaucoup d’esprit naturel une éducation très soignée et une physionomie des plus agréables ; mais il avait la faiblesse de se croire toujours malade et d’avoir une foi superstitieuse dans la faculté. Dès que l’épidémie éclata, il courut se mettre entre les mains du médecin du Dortwicht. Ce docteur ignorant le purgea trois jours de suite et l’épuisa si bien, qu’au moment où il descendait lui-même dans la tombe, mon camarade rendait le dernier soupir.
Le commis aux vivres traîna plus longtemps. Je le veillais nuit et jour avec peu d’espoir de le sauver. Sur un des bâtimens de la flotte était embarqué le premier médecin de notre expédition. Bien qu’il fît très mauvais temps, je n’hésitai pas à me rendre près de