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l’habitude du raisonnement et le respect de la vie humaine.


III

Ce fut sans doute pour éviter la rencontre des croiseurs français que la flotte anglaise, qui n’avait d’autre escorte que le vaisseau le Sceptre, au lieu de donner immédiatement dans la Manche, se dirigea sur l’Irlande. Nous allâmes mouiller à l’embouchure du Shannon, et nous y attendîmes plus de deux mois les forces navales qui devaient nous convoyer jusque dans la Tamise. Tout le temps que nous demeurâmes à l’ancre sur les côtes d’Irlande, les bâtimens de la flotte furent encombrés de visiteurs. Les familles les plus distinguées des environs vinrent à bord du Main-Ship ; on les y hébergea de la façon la plus courtoise, et plusieurs d’entre elles, retenues par le mauvais temps, durent souvent passer la nuit à bord. Le commandant ainsi que les passagers avaient quitté le bâtiment dès les premiers jours qui suivirent notre arrivée. Le second capitaine était resté chargé du commandement ; c’était un jeune homme d’un esprit cultivé, parlant très correctement le français. Je m’étais lié d’amitié avec lui, j’étais de toutes ses parties de plaisir, et il ne lui était point adressé une invitation que je n’y fusse compris. La plupart des personnes qui avaient à se louer des excellens procédés qu’on avait eus pour elles à bord du Main-Ship insistaient à leur tour pour qu’on vînt leur rendre visite. C’est ainsi que j’eus l’occasion de passer quelques jours chez le possesseur d’une charmante habitation sur les bords du Shannon, M. Rice, qui, pour me mettre plus à l’aise, me répétait souvent qu’il était fort heureux de trouver l’occasion de rendre à un Français les politesses qu’il avait reçues en France. M. Rice était marié, et avait deux enfans auxquels une de nos compatriotes émigrée donnait des leçons de français. L’intérieur de cet heureux ménage présentait l’image la plus parfaite de cette félicité modeste à laquelle les Anglais ont donné le nom de comfort. Les personnes que recevait M. Rice, et auxquelles on ne manquait jamais de me présenter, ne me plaisaient pas toujours autant que lui. Je ne pouvais m’empêcher de remarquer que j’étais souvent le sujet de conversations à demi-voix qui n’étaient peut-être pas empreintes d’une extrême bienveillance ; bon nombre de gens en Angleterre prenaient alors tout Français pour un jacobin.

Quelque gracieuse que pût être l’hospitalité de M. Rice, ce n’était pas encore celle qui devait me laisser les plus agréables souvenirs. Un colonel, possesseur d’un château magnifique, vint de Limerick