Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/602

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Embarqué sur le Montebello, le jeune et vigoureux marin fut compris comme chef de pièce, parmi les marins détachés aux batteries de siège devant Sébastopol en septembre 1854. Lamy était donc au nombre des élus, comme disaient alors ceux que le sort laissait spectateurs. Quand il entendit pour la première fois l’assourdissante canonnade, Lamy se vit au comble de tous ses vœux. Peu s’en fallut qu’il ne bondît de joie. Il oublia presque entièrement Calais et sa vieille mère, qui l’avait vu s’éloigner tout éplorée. Pendant près d’un mois, employé aux batteries n° 1 et 2 de la marine, il eut à faire preuve d’autant d’activité que de sang-froid, car il avait en face de lui les terribles batteries de la Quarantaine. La médaille militaire fut la première récompense de sa brillante conduite.

Le 25 octobre 1854 cependant, l’ennemi se leva de plus mauvaise humeur que d’habitude. Il ouvrit le feu avec une rage frénétique qui, durant plusieurs heures, alla toujours croissant. Les boulets fouettaient l’air en tous sens ; ils passaient en sifflant comme des vipères irritées. Les bombes en tombant faisaient trembler le sol et lançaient au ciel une longue gerbe de flamme et d’étincelles ; elles projetaient à d’immenses hauteurs des éclats mortels, qui retombaient en pluie de fer sur nos marins. La mort était partout : elle planait sur leur tête, elle était devant eux, derrière eux, à leurs côtés, les enivrant de son haleine de soufre et de salpêtre ; Lamy, toujours calme, impassible, le dégorgeoir entre les dents, l’œil au curseur de sa pièce, pointait sans relâche. Il avait au suprême degré la conscience de ses devoirs ; rien de ce qui l’entourait ne pouvait l’en distraire. Ses servans de droite et de gauche tombaient sous ses yeux ; morts ou blessés, ils étaient enlevés aussitôt et aussitôt remplacés : Lamy n’avait pas un mot à dire, pas un ordre à donner.

Ce jour-là pourtant, l’heureuse chance qui l’avait constamment protégé devait lui faire défaut. À peine venait-il de mettre sa pièce en batterie, à peine avait-il porté l’œil au curseur, qu’un boulet rasa le canon dans sa longueur, enleva la masse de mire et brisa la culasse, laissant encore dans la fonte un sillon, trace ineffaçable de son passage. Lamy possédait le coup d’œil prompt et sûr d’un excellent pointeur. Il avait vu venir le projectile et s’était baissé, mais s’il échappa aux atteintes brutales du boulet, il ne put fuir les éclats du fer qui lui labourèrent l’épine dorsale. Il tomba baigné dans son sang. J’ai dit que Lamy vit venir le boulet qui le menaçait ; qu’on ne s’étonne pas trop de cette remarque : il est aussi facile de suivre un boulet lorsqu’il vient à nous que lorsqu’il sort de la pièce, et cela est facile surtout pour des hommes habitués aux exercices du tir.

On enleva immédiatement Lamy, et comme il ne donnait plus